LOGINLa journée était déjà bien entamée lorsque Julia déposa son fils à l’école et lui dit au revoir. La jeune femme reprit la route et retourna chez elle. Elle remarqua un silence presque solennel. Aucun bruit de vie ne venait troubler la maison, comme à son habitude. Depuis son mariage, Julia vivait ainsi, presque recluse. Ce silence alarmant lui rappelait tout ce qu’elle avait dû supporter.
Julia n’avait pas toujours été seule. Au contraire, après son mariage avec Damien, nombreuses jeunes femmes de leur milieu avaient tenté de se rapprocher d’elle, cherchant à entretenir de bonnes relations avec la famille Morel. Mais dès que les autres avaient compris le désintérêt de Damien, elles s’étaient retirées. Damien, certes, assumait pleinement ses responsabilités d’époux : Julia ne manquait jamais de rien. Voitures, bijoux, confort… il lui fournissait tout, et elle baignait dans un luxe presque démesuré.Cependant, dès que les gens constatèrent son absence d’influence sur son mari, pire, qu’il ne la consultait même pas, ils prirent leurs distances. La situation s’aggrava encore avec le retour de Rebeca, il y a de cela deux ans. Tout le monde savait que Damien et Rebeca s’aimaient ; la rumeur selon laquelle Damien aurait épousé Julia uniquement pour sa grossesse s’intensifia avec le retour de Rebeca. Et même si cela lui faisait mal de l’admettre, c’était la vérité : Damien ne l’avait jamais vraiment aimée. Il passait son temps dehors et ne l’accompagnait à des événements que lorsqu’il le jugeait nécessaire. Dans les autres cas, lui et Rebeca se retrouvaient en soirée, jamais ils n'arrivaient ensemble ni au même moment, mais on les voyait repartir toujours ensemble. La rumeur selon laquelle ils s’étaient remis ensemble arrivait constamment aux oreilles de Julia. Sa mère, ayant appris la nouvelle, avait débarqué chez elle comme une furie, exigeant des explications. Elle ne pouvait comprendre comment Julia avait pu repousser Damien dans les bras de son ex après des années de mariage. Pour elle, toute la faute revenait à Julia : c’était son devoir de s’occuper de son époux et de son foyer. L’échec d’un mariage revenait toujours à la femme, et c’était elle que la société blâmerait sans hésiter. Julia se souvenait encore des leçons répétées par sa mère. Peut-être était-ce pour cela qu’elle avait elle aussi toléré un mariage sans amour, où l’infidélité de son père était devenue monnaie courante. Julia n’entretenait pas de lien particulier avec son père. Elle ne le détestait pas, mais ne l’aimait pas non plus. Pour résumer leur relation : si son père avait un besoin urgent d’un don de foie aujourd’hui, elle ne se précipiterait pas. Son père avait toujours été infidèle. Il n’avait jamais battu sa mère, mais il avait réussi à tisser autour delle une toille de laquelle elle ne pourrait jamais s’échapper. Petite, Julia avait détesté l’attitude soumise de sa mère et avait juré de ne jamais lui ressembler. Mais avec le temps, elle en avait compris certaines raisons. Aujourd’hui, Julia devenait elle aussi comme sa mère, en partie à cause de Damien. Mais contrairement à sa mère, elle allait réussir à se détacher de la présence nuisible de cet homme. La jeune femme monta dans sa chambre, attrapa les premières valises qui lui tombèrent sous la main et commença à ranger ses affaires. Une fois prête, elle fit de même pour celles de son fils. Elle termina de fermer la dernière valise, un mélange de soulagement et d’appréhension lui serrant la poitrine. Elle jeta un dernier coup d’œil à la maison, à ces murs témoins de tant d’années partagées, parfois heureuses, souvent étouffantes. Sans un mot, elle prit les clés posées sur le comptoir et sortit, traînant derrière elle les deux valises. Dans l’allée, l’air frais du matin lui frappa le visage. Elle chargea les bagages dans le coffre de la voiture, vérifia machinalement qu’elle n’avait rien oublié, puis démarra. Chaque mètre qui la séparait de cette maison lui donnait l’impression de respirer un peu plus. En quittant le quartier, elle jeta un bref regard dans le rétroviseur. Julia était décidée. Elle ne fuyait pas, elle savait aussi que Damien ne tarderait pas à réagir, mais elle n’avait plus peur. Ce départ n’était pas une fuite. C’était un choix.« Elle rentrait légère, il l’attendait chargé. » Pendant ce temps, Julia était à son nouveau poste d’assistante. Le bureau était lumineux, les grandes baies vitrées laissant entrer le soleil de l’après-midi, et une légère odeur de café flottait dans l’air. Elle tapotait sur le clavier avec concentration, mais ses pensées étaient légères, comme si elle flottait au-dessus de ses tâches. — « Julia, pourriez-vous préparer ces dossiers pour la réunion de demain ? » demanda son patron avec un sourire chaleureux. — « Bien sûr, monsieur », répondit-elle, ses doigts glissant rapidement sur le clavier. Elle sourit intérieurement en se rendant compte qu’elle se sentait à sa place ici, que pour la première fois depuis longtemps, elle était juste… elle-même, loin des tensions et des attentes de Damien. Elle leva les yeux et engagea une petite conversation avec son patron, échangeant des anecdotes professionnelles avec un enthousiasme discret, ponctué de rires légers. Chaque geste, chaque s
« Parfois, la fin d’une histoire est le début d’une autre. » Le bureau de Damien baignait dans une lumière douce d’après-midi. Les dossiers s’étalaient devant lui sur le bureau, et la conversation avec Marc était concentrée, ponctuée de chiffres, de plans et de décisions à prendre. Damien avait l’habitude de contrôler chaque détail, mais une tension sourde crispait ses épaules. Un léger coup frappa à la porte. — Monsieur, excusez-moi de vous déranger, mais vous avez une visite, annonça la secrétaire, la voix calme mais ferme. Damien fronça les sourcils, surpris. — Il me semblait que tous mes rendez-vous étaient terminés, murmura-t-il, un peu irrité. — Oui… mais il s’agit d’un certain monsieur Bernard, avocat. Il vient pour une affaire très importante, précisa-t-elle. Intrigué, Damien se redressa et fit signe à l’homme d’entrer. Maître Bernard, un homme d’une cinquantaine d’années, entra d’un pas mesuré. Il portait un costume sombre impeccablement ajusté et tenait un doss
« Il n’est de cage plus solide que celle que l’on croit faite d’amour. » La nuit avait déjà enveloppé la ville lorsque Damien gara sa voiture dans l’allée pavée de sa demeure. La façade immaculée, illuminée par des lampadaires discrets, se dressait devant lui comme un rappel silencieux de tout ce qu’il possédait… et de tout ce qu’il risquait de perdre. Il entra, traversa le vaste hall au marbre glacé et monta l’escalier en colimaçon menant à sa chambre. Ses pas résonnaient dans le vide de la maison. Pas de rires d’enfants, pas de voix pour briser le silence. Dans sa chambre, il posa sa veste sur le dossier d’un fauteuil, décrocha sa montre et la laissa tomber sur la table de chevet. Avant de se diriger vers la salle de bain, il sortit son téléphone. L’écran s’illumina, affichant une série de notifications. Des appels manqués. Des messages non lus. Et surtout… une longue liste d’alertes de sa banque. Damien fronça les sourcils et s’assit au bord du lit. Les chiffres défilèrent.
Damien tenait le volant d’une main ferme, les yeux fixés sur la route, mais son esprit était loin devant. Les lumières orangées du soleil couchant se reflétaient sur le pare-brise, et le ronronnement régulier du moteur emplissait l’habitacle d’un fond sonore apaisant. Sur la banquette arrière, Lucas, attaché dans son siège, était tout l’inverse de son père : débordant d’énergie. Il tenait sa peluche-dinosaure contre lui comme si c’était un trésor. Le petit animal en tissu vert semblait déjà avoir trouvé sa place dans ses bras. — Tu sais, papa, je vais jamais le lâcher… Parce que c’est toi qui l’as gagné pour moi. — Ah bon ? Même pour dormir ? — Même pour dormir. Et à l’école, j’vais le montrer à tout le monde ! Damien esquissa un sourire dans le rétroviseur. Ce n’était qu’une peluche bon marché, mais pour Lucas, c’était le trophée d’un père qui, pour une fois, avait été là. Le petit enchaîna, la voix animée : — Et le manège qui tourne super vite… beurk, j’aime pas du tou
« Le passé est un invité qui ne frappe jamais à la porte. Il se glisse dans les pièces et s’installe sans prévenir. » Julia fit claquer la porte de son appartement. Les sacs de shopping glissèrent sur le canapé, un à un, comme des trophées silencieux. Elle retira ses lunettes de soleil, jeta un coup d’œil autour d’elle… et se surprit à sourire. Sa journée avait été… intense. Elle venait tout juste de rentrer d’une virée en ville avec Cécile. Le parfum discret d’un café pris en terrasse lui revenait encore, mêlé à celui des vitrines fraîchement cirées des boutiques qu’elles avaient longées. Elle avait reçu un message de Cécile ce matin. Habille-toi. Talons obligatoires. Je t’emmène voir quelque chose et l'avait rejoint tôt, presque surexcitée. Elles s’étaient retrouvées au volant de la berline noire de Cécile, filant vers le centre-ville huppé. Les immeubles semblaient s’incliner à leur passage. Et puis… la vitrine. Une façade d’un blanc parfait, encadrée de colonnes, surmont
« Il n’est jamais trop tard pour bien faire. » Damien resta un moment immobile derrière le volant, observant Julia à travers la vitre. Elle était assise dans sa propre voiture, les mains posées sur le volant, le regard fixé devant elle. Aucun sourire, aucune expression qui pourrait trahir ce qu’elle pensait. Il se surprit à chercher dans ses yeux une hésitation, un signe qu’elle changerait d’avis, qu’elle viendrait avec eux… Mais elle démarra simplement, sans un mot, et s’éloigna. Damien inspira profondément. Dans le rétroviseur, il croisa le regard de Lucas, assis sagement sur la banquette arrière. Le petit était déjà prêt depuis longtemps, visiblement excité, mais aussi curieux de ce qui allait se passer. Damien n’avait jamais été seul avec lui pour ce genre de sortie. L’idée lui donnait une sensation étrange : un mélange de gêne, d’appréhension et… de peur de mal faire. — Bon… on y va, dit-il enfin en mettant le moteur en marche. La route vers le parc d’attractions se fit







