Mag-log inJade
La lumière du matin s’infiltre à travers les rideaux, dorée, timide, comme si elle avait peur de troubler la paix fragile de cette chambre.
Je suis réveillée, mais je reste immobile, allongée sur le flanc, les paupières closes. Mes sens, eux, sont déjà en éveil.Je sens son souffle derrière moi. Lent. Régulier. Rassurant.
Sa main repose sur ma taille, paume ouverte, ancrée. Pas possessive. Juste présente. Comme s’il voulait me dire : je suis là.
Je respire profondément, lentement. La chaleur de son torse dans mon dos, la texture des draps contre ma peau nue, l’odeur boisée et masculine qui s’échappe de lui… Tout m’enveloppe dans une bulle irréelle, un cocon suspendu hors du monde.
Puis je bouge légèrement, et je le sens qui se réveille un peu plus, son souffle qui change.
Je me retourne lentement, et nos regards se croisent. Ses yeux sont déjà ouverts. Profonds. Silencieux.
— Tu ne dors pas ? soufflé-je, surprise.
Il secoue à peine la tête, un sourire au coin des lèvres.
— Je dors rarement longtemps quand j’ai une œuvre d’art dans mes bras.
Je ris doucement, un peu gênée.
— Tu dis ça à toutes les femmes que tu raccompagnes au lit ?
— Seulement celles qui me rendent incapable de m’en détacher. Et là… je suis coincé.
Sa main resserre légèrement son emprise sur ma hanche. C’est doux, mais ferme. Je sens la chaleur se répandre dans mon ventre.
— Tu es si belle quand tu dors, murmure-t-il. Et vulnérable. Ça me touche. Et ça me terrifie un peu.
Je fronce les sourcils, curieuse.
— Pourquoi ça te terrifie ?
Il me regarde sans détour.
— Parce que j’ai envie de te protéger. Et j’ai appris que ce genre d’envie, chez moi… c’est dangereux.
Je frémis. Non pas de peur. Mais parce que ce qu’il dit me semble profondément vrai. Brut. Vrai.
Je pose ma main sur son torse, doucement, paume à plat.
— Tu dis ça comme si tu étais un loup déguisé en homme.
— Peut-être que je le suis, murmure-t-il. Mais je t’assure… je ne te ferai jamais de mal.
Je ne réponds pas tout de suite. Je l’observe. Ses cils épais. Sa mâchoire légèrement tendue. Ce mélange de maîtrise et de trouble dans ses traits.
Puis je me blottis contre lui.
— Tu sens bon, murmuré-je contre sa gorge.
— Tu as dit la même chose hier soir… juste avant de m’arracher la chemise.
— Elle n’a pas souffert, ta chemise. Moi, si tu la regrettes…
Il rit. Son rire grave résonne contre moi.
— Je pense que je vais devoir racheter une garde-robe complète si on continue comme ça.
Je relève les yeux vers lui, espiègle.
— Tu comptes rester ?
Il devient sérieux. Juste un instant.
— Tu veux que je parte ?
Je secoue la tête.
— Non. Pas encore.Un silence, doux, s’installe entre nous. Je laisse ma jambe glisser lentement sur la sienne, puis je le regarde droit dans les yeux.
— Et si on recommençait ?
— Encore ?
Il sourit. Puis, sans attendre, sa main se glisse sous les draps, effleure ma hanche, descend lentement.
— Pour être sûr que ce n’était pas un rêve…
Il me fait l’amour comme on sculpte, comme on vénère.
Chaque mouvement est fluide. Chaque baiser profond. Il ne cherche pas la performance. Il cherche à me sentir. À m’ancrer. À me retenir.Je me perds en lui. Encore. Encore.
Et quand nous atteignons l’extase, nos corps s’effondrent dans un silence sacré.On reste au lit longtemps. Je joue avec ses doigts, lentement, paresseusement.
Il trace de petits cercles sur ma peau, comme s’il écrivait un poème que je ne lirai jamais.
— Tu sembles loin, murmure-t-il.
— Je suis ici. Mais oui… un peu ailleurs.
— À quoi tu penses ?
Je m’assois un peu, le drap glissant sur ma poitrine. Je le regarde.
— À nous. À ce que ça veut dire. À ce que ça pourrait devenir… ou pas.
Il reste silencieux. Puis se redresse légèrement à son tour, s’appuyant sur un coude.
— Et tu as peur de ce que tu ressens ?
Je hoche la tête.
— Pas de toi. Mais de ce que ça réveille en moi. Je suis pas du genre à vivre des demi-histoires, Caleb.
Il me regarde longuement, puis pose ses doigts sur ma joue.
— Moi non plus.
— Alors dis-moi. Qui tu es. Pas ton job. Pas ton masque. Toi.
Il soupire, longuement. Il hésite.
— Je suis quelqu’un qui a appris à survivre. Pas à aimer. Pas vraiment.
Je reste muette. Il poursuit.
— Mon passé est… compliqué. J’ai vu des choses. J’ai fait des choix. Certains bons. D’autres… non. Je ne suis pas sûr que tu aimerais tout savoir.
— Essaie-moi.
Il m’observe, longtemps. Puis baisse la voix.
— Je suis un homme qui contrôle tout. Tout le temps. Et toi… tu as mis le feu à ça. Et je ne sais pas si je dois te fuir ou t’embrasser encore plus fort.
Je souris, doucement.
— Tu veux savoir qui je suis, Caleb ?
Il hoche la tête.
— Je suis une femme qui a trop souvent attendu qu’on la voie. Qu’on l’écoute. Qu’on la choisisse. Et maintenant, je veux vivre en entier. Ou pas du tout.
Il ferme les yeux un instant. Je vois ses mâchoires se crisper, comme s’il se battait avec quelque chose.
Puis il me murmure :
— Alors je vais essayer. De te choisir , de te voir entière.
Il me serre dans ses bras. Fort. Pas par peur de me perdre. Mais par besoin de m’avoir vraiment.
Et là, dans cette étreinte du matin, je comprends. Ce n’est pas qu’un homme. C’est un homme brisé qui veut recoller quelque chose en moi.
Et moi, peut-être, je veux recoller quelque chose en lui.
Mais je sais déjà : ce n’est pas sans risque.
JadeCinq ans.Le temps a coulé sur l'empire Volkov comme un fleuve puissant et impitoyable. Il n'a fait que croître, s'étendant dans des domaines que même Naël, dans ses visions les plus ambitieuses, n'avait pas imaginés. La finance, la tech, les ressources naturelles, les réseaux d'influence... Rien ne nous échappe.Nous sommes à Venise, dans un palais privé sur le Grand Canal. Un bal masqué. L'élite du monde est là, flottant dans un tourbillon de soie, de diamants et de secrets. Je me tiens au sommet de l'escalier de marbre, et pour un instant, le murmure des conversations s'éteint.Je porte une robe noire, d'une simplicité mortelle. Aucun bijou, sauf les trois alliances à mon doigt. Je n'en ai plus besoin. Mon pouvoir n'a plus à être annoncé. Il est.Naël arrive à mes côtés. Il est toujours aussi imposant, mais une partie de son autorité s'est déléguée à moi.—Tout est en place, murmure-t-il. L'acquisition de la compagnie maritime sera signée à minuit.Je hoche la tête. C'est moi
JadeLe vent souffle en bourrasques sur la falaise, chargé de l'odeur salée de l'Atlantique. La maison de verre et d'acier, construite à flanc de rocher, semble défier les éléments. Caleb l'a conçue. C'est notre sanctuaire, notre forteresse à tous. L'endroit qui n'appartient à aucune de leurs sphères d'influence, mais seulement à nous.À la Trinité.Ce soir, c'est la troisième cérémonie. La plus secrète. La plus sacrée. Il n'y a pas d'invités. Pas de prêtre. Seulement nous quatre, face à l'océan déchaîné.Je porte une simple robe ivoire, sans ornements. Les trois alliances à mon doigt scintiennent faiblement dans la lumière des bougies. Naël est en costume sombre, impeccable, son visage un masque de contrôle parfait. Elian, à sa droite, est plus détendu, une lueur d'excitation sauvage dans le regard. Et Caleb, à ma gauche, me tient la main. Sa paume est moite. Il n'a pas la sérénité de Naël, ni la jubilation d'Elian. Il a la gravité de celui qui a tout perdu et croit tout regagner.C'
JadeLa lumière de Paris est douce en ce début de soirée. Nous sommes dans le grand salon de l’appartement des Volkov, sur les Champs-Élysées. Naël et Elian sont là, discutant de l’organisation du prochain gala. Moi, je suis assise, je les écoute. Le calme. La sécurité. L’ordre.Puis la porte s’ouvre.Aucun domestique n’a annoncé de visiteur. Aucun garde n’a donné l’alerte. Il est simplement là, comme matérialisé par la force de sa propre volonté.Caleb.Il n’a plus l’air de l’architecte new-yorkais. Il est plus mince, plus dur. Ses yeux, autrefois pleins de douceur, sont devenus des silex. Ils balayent la pièce, ignorent mes frères, et se posent sur moi. Sur les deux alliances à mon doigt.Un silence de mort s’abat sur la pièce.Naël est le premier à réagir. Il se lève, lentement, sa colère aussi froide que l’acier.—Tu n’es pas invité, Caleb. Sors.Elian, lui, affiche un sourire narquois, mais ses poings sont serrés.—Le petit frère perdu qui revient à la maison. Trop tard, Caleb. L
JadeL'hiver russe cède lentement la place à un printemps timide. Les bourgeons pointent sur les bouleaux, et la neige n'est plus qu'une dentelle sale en bordure des chemins. À l'intérieur de la Douma, cependant, un autre genre de floraison a lieu. Une floraison orchestrée avec la précision d'une opération militaire.Le jour est arrivé. Les jours, devrais-je dire.Naël se tient devant moi dans son bureau, les plans déployés sur son immense table en chêne. Pas des plans d'architecture. Des plans de cérémonie.— Moscou d'abord, annonce-t-il, son doigt traçant une ligne sur une carte de la Russie. La cathédrale du Christ-Sauveur. Les autorités sont... accommodantes, moyennant certaines considérations. Ce sera fastueux. Toute la Russie qui compte sera là. Tu seras présentée comme mon épouse. Madame Volkov.Il lève les yeux vers moi. Son regard n'est pas tendre, ni amoureux. Il est satisfait. Comme un artiste contemplant son chef-d'œuvre achevé.— Puis, une semaine plus tard, Paris, enchaî
JadeLe temps, à la Douma, a acquis une qualité différente. Il ne coule plus ; il s'étire, comme la neige sur les steppes, immuable et paisible. Les souvenirs de ma vie d'avant sont devenus des photographies sépia, des images floues d'une autre femme dans un autre monde. Une femme qui se débattait, qui ressentait, qui aimait.Cette femme est morte.Ce qui est né à sa place est plus calme. Plus sage.Ce matin, je me réveille dans la chambre aux murs de pierre. Les draps de soie noire sont doux contre ma peau. La lumière de l'hiver russe filtre à travers les vitraux, projetant des losanges de couleur sur les dalles. Je n'ai plus de rêves. Le sommeil est un néant bienfaisant, et le réveil, une simple transition.Naël est déjà parti, bien sûr. L'empire Volkov n'attend pas. Mais il a laissé sur l'oreiller une boîte en velours. À l'intérieur, un collier, un saphir bleu profond qui correspond exactement à la couleur des glaces sur la rivière. Un cadeau. Une marque de possession. Autrefois, j
CalebLa neige. Elle tombe en épais flocons lents, effaçant le monde, étouffant tous les sons. La Douma se dresse devant moi, massive et aveugle, ses fenêtres éparses comme des yeux morts. Je l'ai atteinte après un voyage cauchemardesque, un périple à travers les ombres pour éviter leurs regards. Je suis entré sur leurs terres comme un voleur, comme un fantôme.Je me faufile par une entrée de service que j'avais repérée sur des plans anciens, une porte dérobée rouillée qui cède sous la pression de mes outils. L'intérieur est silencieux, seulement troublé par le craquement lointain des poutres et le hurlement étouffé du vent. Je connais ces couloirs. Je les ai étudiés pendant des semaines, m'en créant une carte mentale.Mon cœur bat à tout rompre, non pas de peur, mais d'une anticipation fébrile. Jade. Je suis venu te sortir de là.Je trouve la chambre. Sa chambre. La porte est lourde. Je pousse, lentement.Elle est là.Assise devant le miroir d'une coiffeuse, vêtue d'une simple chemis







