Chapitre 6

Chloé, apercevant des visages familiers, a agité la main avec excitation : « Oh là là, tu comptes enfin officialiser votre histoire ? Tu ne vas pas nous présenter ? »

Kade a jeté un regard à Solène et, après son consentement muet, l'a accompagnée avec une élégance naturelle.

Voilà comment il agissait avec celle qui comptait vraiment : non seulement il s'adaptait, mais il veillait à chaque détail pour son bien-être.

Avec moi, pourtant, il n'avait jamais fléchi. C'était toujours moi qui pliais face à ses humeurs d'Alpha. Même ma passion pour l'entraînement des guerriers, il suffisait d'un regard désapprobateur de sa part pour que j'y renonce.

Chloé a plaisanté : « On dit que tu l'as suivie jusqu'au monde humain ? Sacré romantique ! »

Kade s'est appuyé contre un banc de pierre, affichant un sourire énigmatique sans répondre.

Solène, rougissante, est intervenue : « Arrête de te moquer de moi. »

Ses grands yeux innocents ont scintillé : « Mais je n'aurais jamais imaginé qu'un Alpha si distant puisse se montrer aussi attentionné... »

« Quand j'étais dans le monde humain, il prenait soin de moi très souvent. Il m'envoyait régulièrement les meilleures plantes médicinales aux vertus analgésiques… »

« Et pour que je retrouve les saveurs de chez moi, il a même appris la cuisine auprès du chef de la meute pendant six mois. »

À écouter leurs doux souvenirs, ma blessure que je croyais refermée se rouvrait, vive et sanglante.

J'ai repensé à cette nuit où une flèche m'avait transpercée de douleur. Où était Kade à ce moment-là ? Sur le terrain d'entraînement, en sueur, complètement ignorant de ma souffrance…

Et quand la douleur m'avait presque fait perdre connaissance ? Quand je lui avais expliqué que la flèche était empoisonnée pour l'aconit et que seule l'énergie d'un Alpha pouvait m'aider, il m'avait regardée avec agacement : « Une simple égratignure, ce n'est pas si grave. Arrête de dramatiser. »

J'avais toujours cru qu'il était naturellement froid. Mais en réalité, il savait très bien se montrer attentionné, simplement pas avec moi.

« C'est bien mon frère sans cœur, ça ? On lui a échangé son cerveau, ou un alien s'est installé dans son corps ? »

Perdue dans mes pensées, je n'avais pas entendu que Chloé s'adressait soudain à moi.

Ce n'était qu'en sentant le silence étrange autour de nous que je suis sortie de ma rêverie, pour croiser le regard intense de Kade.

« Anya », sa voix s'est faite soudain plus grave, « est-ce que tu as un problème avec Solène ? »

« Non, pourquoi ? »

« Ton regard n'est pas vraiment bienveillant. »

Un sourire indolent errait sur ses lèvres fines, et sa voix nonchalante portait une menace veloutée : « Je t'ai toujours considérée comme une petite sœur. Voir que tu manques de respect à celle que j'aime me met vraiment dans une position délicate. »

Je repensais à tous ces messages blessants dans les conversations de groupe, et maintenant, face à son attitude faussement innocente… J'ai senti ma dernière once de tristesse se dissiper, remplacée par une colère primitive et brute.

J'ai reposé mon verre, m'efforçant de paraître calme : « Si tu veux jouer la comédie, fais-le avec tes suiveurs. Je n'ai pas de temps à perdre avec tes jeux puérils. »

« Ne sois pas fâchée, il ne veut que me protéger », est intervenue Solène avec une feinte douceur, « il ne le fait pas méchamment. »

À cet instant, une Prêtresse est passé solennellement, portant un bassin rituel rempli d'huile sacrée.

D'un mouvement apparemment involontaire, Solène a reculé d'un pas et a heurté « accidentellement » le bras de la prêtresse.

L'huile brûlante a giclé, et les flammes ont jailli aussitôt.

Kade l'a repoussée par réflexe. Mais en voyant les langues de feu se diriger vers moi, ses pupilles se sont dilatées violemment.

« Anya ! »

Il s'est précipité vers moi, mais a trébuché sur Solène qui avait choisi ce moment pour tomber.

Pour la rattraper, il n'a pu que regarder, impuissant, l'huile sacrée voler dans ma direction.

J'ai esquivé en pivotant, mais mon bras était éclaboussé. La brûlure était vive, pourtant j'ai serré les dents, refusant de crier.

« Anya, ça va ? » Chloé a accouru pour examiner ma blessure.

Kade, resté à distance, tenait Solène dans ses bras, mais son regard était rivé sur moi.

Je pouvais distinctement sentir la douleur qui transperçait son cœur à travers notre lien.

Et alors ? Cela changeait-il quoi que ce soit ? Il avait quand même choisi une autre.

...

Quand j'ai repris conscience, je me trouvais à l'hôpital. Des voix me parvenaient du couloir, étouffées.

« Elle est réveillée ? »

« Pas encore. Les guérisseurs veulent la garder en observation jusqu'à demain », a répondu Chloé, la voix empreinte de fatigue, « tu viens pas la voir ? »

« Non. Et ne lui dis pas que je suis venu. »

Cette voix m'était familière, mais je n'arrivais pas à la situer.

Chloé a poussé un petit rire : « Tu comptes jouer le gardien silencieux encore longtemps ? Pourquoi ne pas lui avouer… »

Le cristal de communication scintillait brusquement, interrompant leur échange. L'homme s'est éloigné rapidement : « Je dois patrouiller à la frontière. Contacte-moi s'il y a du nouveau. »

Chloé lui a lancé un regard exaspéré avant de revenir vers la salle de soins.

En me voyant allongée sur le lit, le bras enveloppé de bandages imprégnés de plantes médicinales, ses yeux se sont emplis de larmes : « Pardon, Anya… Si j'avais su, je ne t'aurais jamais traînée à cette fête. Ne t'inquiète pas, après ta sortie, on ira voir le meilleur guérisseur. Je ne laisserai pas ces marques te défigurer. »

Un rire sec et amer m'a échappé.

« Tu ris maintenant ? Je te jure que Solène l'a fait exprès. Elle aurait pu éviter cette prêtresse, mais elle l'a bousculée délibérément. Et la voilà qui joue les victimes… »

Mon sourire s'est effacé. Et après un silence, j'ai fini par avouer : « En fait… c'est ma demi-sœur. »

Les yeux de Chloé se sont écarquillés : « Quoi ? Ta demi-sœur ? Alors ta mère était membre du Conseil des Sages ?! Mon dieu, tu m'as caché des choses si importantes ? On est amies, oui ou non ? »

Je lui ai raconté brièvement l'histoire, en évitant soigneusement toute mention de mon passé avec Kade.

Face à son regard mêlant tendresse et indignation, je me suis sentie émue. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas ressenti cette chaleur.

« Tout cela est derrière moi. Je vais bien, maintenant. »

Désormais, je n'avais besoin de personne pour vivre debout, fière et entière !