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Chapitre 3 : Impénétrable 1

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-12-02 21:04:18

Anouk

Je reste clouée sur ma chaise, le Moleskine devenu un bloc de plomb sur mes genoux. Dante me regarde, attendant son thé. Le ruban adhésif grince une dernière fois, et sa main droite se libère. Il ne fait pas un mouvement brusque. Il étire lentement les doigts, examine son poignet où une marque rouge persiste, puis s’attaque à la seconde attache avec une méthodicité exaspérante.

— Le thé, Anouk.

Il répète, comme on parle à un enfant lent. Je sursaute, me lève, et me précipite vers la cuisinette. Mes mains tremblent en faisant chauffer la bouilloire. Moretti. Je jette un regard furtif vers le salon. Il est assis maintenant, libéré de ses liens, et rembobine soigneusement le ruban adhésif en un rouleau net, sans plis. Il pose le rouleau parfait sur la table basse, à côté de la tasse de thé drogué qu’il n’a pas touchée. Puis il ajuste les manches de son costume, lissant des plis invisibles.

— Vous comptez me tuer ?

Je lance depuis la cuisine, ma voix étranglée.

— La question n’est pas pertinente actuellement. Nous réévaluons les termes. Le sucre, s’il vous plaît. Un carré. Pas un demi. Un carré entier.

Je verse l’eau sur le sachet de thé Earl Grey, j’ajoute le sucre avec une précision d’alchimiste face à une potion explosive, et j’apporte la tasse. Je la pose devant lui, sur une pile de factures impayées. Il hoche la tête, satisfait.

— Asseyez-vous. Nous allons établir un protocole.

Je m’assois au bord du canapé, à l’autre extrémité, prête à fuir. Mais fuir où ? Et comment ? Il lit dans mon esprit.

— Fuir est inutile. Je connais votre nom, votre adresse, votre numéro de sécurité sociale. Le document est sur le buffet. Je connais aussi le nom de votre éditeur. Le courrier de relance est édifiant. Passons aux faits. Vous êtes Anouk Durand, vingt-cinq ans, romancière à succès négligeable. Vous avez un compte en banque dans le rouge, un loyer impayé de deux mois, et vous achetez du vin à trois euros cinquante la bouteille. Vous êtes un désastre financier et organisationnel. Mais vous avez eu l’audace, l’inconscience abyssale, de cibler Dante Moretti. C’est soit la folie, soit une forme de génie suicidaire. Je penche pour les deux.

— C’était pour l’art.

Je murmure, misérable.

— L’art.

Il répète en prenant une première gorgée de thé, qu’il juge d’un petit mouvement de tête.

— Acceptable. L’art comme motivation primaire. C’est nouveau. Cela mérite d’être étudié. Voici donc les termes.

Il pose sa tasse sur son sous-verre de fortune, une enveloppe timbrée.

— Vous arrêtez immédiatement toute velléité de kidnapping, de chantage, ou d’activité criminelle amateur. Vos compétences dans ce domaine sont catastrophiques et me donnent de l’urticaire professionnel.

— Vous devenez mon sujet d’observation. Votre chaos, votre processus créatif désordonné, vos réactions émotionnelles excessives sont des données. Je les collecte.

— En échange, je vous garantis la sécurité physique immédiate. Et je vous fournis… de l’inspiration.

Je lève les yeux, méfiante.

— De l’inspiration ?

— Vous vouliez une dark romance. Vous vouliez comprendre la psychologie d’un homme dangereux, obsessionnel. Je suis l’original. Vous aurez un accès direct, sous certaines conditions. Considérez cela comme une résidence d’écrivain… en enfer.

Il a dit ça sans sourire. Littéralement.

— Des règles de coexistence s’appliquent. Vous ne touchez pas à mes affaires. Vous ne posez pas de questions sur mes activités professionnelles. Vous rangez, au minimum, un chemin praticable entre la porte et le canapé. L’odeur de moisi doit disparaître.

— Et le dernier point ?

Je demande, hypnotisée par l’absurdité cauchemardesque de la situation.

— Le dernier point est évolutif. Il concernera les modalités de notre relation à long terme. Pour l’instant, il se résume à : vous faites ce que je dis.

— C’est tout ? Pas de… je ne sais pas… menaces de mort précises ?

Il sourit enfin. C’est pire que lorsqu’il ne sourit pas. Ses yeux restent froids.

— Les menaces de mort sont contre-productives. Elles induisent un stress qui altère le comportement naturel du sujet. Je préfère l’incitation négative. Par exemple : si vous ne rangez pas cette pile de vaisselle sale dans l’heure, je vais la laver moi-même. Avec de l’acide.

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