MasukAlessandraLe choc de l’eau est tiède, mais il me fait frissonner. Ce n’est pas la température. C’est l’inversion. Le renversement complet. Je suis devenue l’objet à nettoyer, la toile sur laquelle il étend ses mains avec une intention nouvelle, terrifiante.Il ne prend pas l’éponge. Il utilise ses mains. Ses paumes, larges et callouses, se couvrent de mousse noire et parfumée. Il commence par mes épaules, lentement, comme un peintre prépare sa surface. Le geste est trop doux pour être un lavage. C’est une exploration. La pression est ferme, circulaire, effaçant non seulement la sueur mais la mémoire de l’étreinte. Ses pouces s’attardent dans le creux de mes clavicules, y creusant un cercle de sensation qui court jusqu’à mon sternum.Je garde les yeux fermés, la tête légèrement inclinée sous le jet, offrant une résistance passive, silencieuse. Mais mon corps, ce traître, frémit. Il s’en aperçoit. Un souffle rauque, peut-être une esquisse de rire, s’échappe de lui, noyé par l’eau.Ses
AlessandraLa fraîcheur du cuir contre ma peau nue se dissipe, remplacée par la moiteur de l’air et celle, plus intime, qui colle à mes cuisses. Le silence est un linceut lourd. Puis, de la chambre, le bruit de l’eau qui se met à couler. Un jet puissant, régulier.Je ferme les yeux, souhaitant que ce soit la fin. Un répit. Une trêve dans ces cendres encore chaudes.La voix arrive, tranchant l’épaisseur de mes pensées.— Alessandra.Ce n’est pas un hurlement. C’est un ordre calme, lancé à travers la porte entrouverte. Imparable.— Viens. Fais ton travail.Mon travail. Les mots résonnent avec une ironie amère. Je reste immobile, espérant, enfantinement, qu’il oubliera si je ne bouge pas.— Maintenant.Le ton n’a pas changé, mais une menace sourde y palpite. La trêve était un leurre. La guerre, sous une autre forme, reprend.Je me lève, les muscles douloureux, chaque mouvement me rappelant l’assaut récent. Il se prend pour quoi ? Un bébé royal qu’il faut laver et bichonner ? La pensée fu
AlessandraIl redescend alors. Sa bouche quitte mes seins, emprunte le chemin plat de mon ventre, et avant que je ne réalise son intention, elle est là, à la place de ses doigts.Le choc est absolu.C’est une sensation que je n’ai jamais connue, que je n’aurais jamais pu imaginer. La chaleur humide de sa bouche, la pression habile de sa langue, le souffle court sur ma peau… c’est une attaque frontale contre tous mes remparts. Un gémissement long, tremblant, s’échappe de moi. Mes mains s’agitent, s’accrochent aux coussins du canapé, cherchent une ancre dans un monde qui bascule.Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas que ce soit lui. Mais mon corps, lui, en veut. Il en réclame. Mes hanches ont leur propre volonté, elles se soulèvent à la recherche de cette bouche, de cette langue. Le plaisir s’accumule, vite, trop vite, un tourbillon de sensations qui balaie la haine, la peur, la pensée elle-même. Il n’y a plus que cette chaleur ascendante, cette tension exquise au creux de mon ventre.J
Alessandra J’ai « coopéré ». Comme un automate. Mon esprit était à la clinique, sur le visage de Matteo. Mon corps était ici, une chose manœuvrée.Le jour se lève, froid et clair. Luck est absent. Une note laconique sur le bar de la cuisine : « Des réunions. Tu ne sors pas. » L’ordre est là, mais son absence est un répit. Je suis seule avec l’écho de ce que j’ai fait, de ce que j’ai permis. La honte est un vêtement humide collé à ma peau.Mais il y a autre chose. Une frustration sourde, insidieuse. Une sensation de vide là où il y avait eu… quelque chose. Le souvenir du moment dans la bibliothèque, où j’avais négocié, où j’avais senti un semblant de pouvoir, aussi tordu soit-il, me hante. Hier soir, je me suis annulée. J’ai disparu. Et d’une certaine manière, c’était pire.Les heures passent, lentes, étouffantes. L’appartement est une cage dorée, silencieuse. Je ne peux pas lire. Je ne peux pas penser. Une énergie nerveuse, presque violente, parcourt mes veines. C’est la braise, att
AlessandraLe mensonge de Luck. Bien sûr. Je lève la tête, essuyant mes joues d’un revers de main rapide. Je dois sourire. Je dois le rassurer.— Tout va bien, je te promets. Le travail est… prenant. Mais je vais bien. Et toi ? Les médecins, que disent-ils ?Il esquisse un sourire, un pâle reflet de celui d’avant.— Ils disent que je suis têtu. Que je m’accroche. Les analyses sont un peu meilleures. C’est long.Un silence s’installe, chargé de tout ce que nous ne pouvons pas dire. Il examine mon visage, mes yeux cernés, la tension que je ne parviens pas à dissimuler entièrement.— Tu es sûre que tu vas bien, Lessie ? Tu as l’air… fatiguée.— Je suis juste inquiète pour toi, ment-je, la gorge serrée. Tu es tout ce qui me reste.Je passe l’heure à lui parler de tout sauf de la réalité. De souvenirs d’enfance, d’espoirs futurs impossibles. Je lui lisse les cheveux, je lui ajuste ses couvertures. Je bois chaque détail de son visage, je m’imprègne du son de sa voix. Cette heure est un oxyg
AlessandraDeux jours.Quarante-huit heures taillées dans du verre pilé.Chaque minute a été un exercice d’obéissance silencieuse. Je l’ai suivi à la bibliothèque, un fantôme en robe de soie. J’ai été présentée à des associés comme « son assistante », une étiquette vide qui a fait sourire certains d’un air entendu. J’ai mangé lorsqu’il me l’ordonnait, dormi lorsqu’il quittait la chambre, respiré sur son rythme. Mon corps fonctionne. Mon esprit est une chambre close où tourne en boucle une seule pensée, obsessionnelle : mon frère.Matteo. Son nom est un battement de cœur douloureux dans ma poitrine. Comment va-t-il ? Que lui a-t-on dit de mon absence ? La peur qu’il ait subi des représailles à cause de ma première tentative de fuite est un serpent froid lové autour de mes entrailles. C’est cette peur, plus encore que la menace directe, qui m’a rendue docile.Mais aujourd’hui, la docilité a atteint ses limites. Le besoin de le voir, de m’assurer qu’il est toujours en vie, qu’il est soign







