LOGINSofia
Les jours suivants sont un calvaire raffiné. Lorenzo a doublé ma garde rapprochée. Marco, un géant au visage de pierre, me suit partout, même dans les jardins. Mon téléphone a « accidentellement » cessé de fonctionner. Je suis coupée du monde, plus que jamais.
Pourtant, une obsession germe en moi. Luca Conti. Son nom tourne dans ma tête, une mélodie interdite. Je me surprends à guetter sa voiture lorsque je sors, espérant un signe, une raison de croire que cette connexion n’était pas un mirage.
Ma chance arrive une semaine plus tard, sous la forme d’une visite obligatoire chez mon dermatologue. Marco m’accompagne, s’asseyant dans le hall d’attente, son imposante silhouette décourageant toute conversation. Le rendez-vous est rapide. En sortant, alors que Marco parle brièvement à la réceptionniste, je m’attarde près de la porte d’entrée, le cœur battant la chamade.
Et je le vois.
Il est assis dans une voiture discrète, garée de l’autre côté de la rue. Il lit un journal, mais son regard se lève et rencontre le mien. Ce n’est pas une coïncidence. Il m’attendait.
Le temps se fige. Les bruits de la ville s’estompent. Je n’ai que quelques secondes. Marco va se retourner. Je fais le seul geste que je peux risquer. D’un mouvement rapide, je fais glisser la lourde bague en saphir que Lorenzo m’a offerte pour notre anniversaire. Je la laisse tomber dans le pot de fleurs à côté de l’entrée.
Je ne le regarde plus. Je tourne les talons et rejoins Marco, qui se retourne juste à ce moment-là.
— Tout va bien, Signora Rossi ?
— Parfaitement, Marco. Je suis un peu fatiguée.
Je monte dans la voiture, les jambes en coton. Je viens de franchir une ligne. J’ai laissé un message. Un appel au secours ? Une invitation ? Je ne sais pas moi-même. Mais j’ai agi.
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La nuit tombe. Lorenzo est d’une humeur étrangement légère. Il a « réglé un problème » aujourd’hui, ce qui signifie toujours la même chose. Il commande mon plat préparé, ouvre une bouteille de vin rare. Il me parle de ses projets d’expansion, de son pouvoir, comme s’il essayait de me hypnotiser avec la grandeur de son empire de cendres.
— Tu verras, Sofia. Bientôt, tout cette ville sera à nos pieds. Personne ne pourra plus nous toucher.
Je souris, je bois une gorgée de vin, je fais hochement de la tête. Mais mon esprit est ailleurs. Dans la rue, près d’un pot de fleurs. A-t-il trouvé la bague ? A-t-il compris ?
Soudain, Lorenzo pose sa fourchette. Le cliquetis du métal sur la porcelaine me fait sursauter.
— Tu sembles distante, amore mio.
Ses yeux scrutent mon visage, cherchant la faille.
— Je suis juste fatiguée, comme je l’ai dit à Marco.
— Marco ? répète-t-il, l’air soudain intéressé. Il t’a bien accompagnée chez le médecin aujourd’hui ?
La question est un piège. Je sens un frisson mortel me parcourir l’échine.
— Bien sûr. Comme d’habitude.
— Rien d’inhabituel, alors ? Aucune… rencontre ?
Il sait. Mon Dieu, il sait. Le sang se retire de mon visage. Il a des yeux partout. Peut-être que le dermatologue est à lui. Peut-être que quelqu’un dans la rue a vu Luca. Je suis prise au piège.
— Non, Lorenzo. Rien.
Il se lève, lentement, et vient se placer derrière ma chaise. Ses mains se posent sur mes épaules, dans un écho sinistre de l’autre soir.
— C’est bien. Parce que si jamais tu me cachais quelque chose… si jamais tu pensais à me trahir…
Il se penche, et ses lèvres effleurent mon oreille.
— Je ne te ferais pas de mal, Sofia. Jamais. Tu es ma vie.
Sa voix est un suaire de soie.
— Mais je réduirais en poussière tout ce qui ose se mettre entre nous. Tout. Tu me comprends ?
Je ferme les yeux, incapable de répondre. La peur est un goût de cuivre dans ma bouche. Je comprends. Je comprends trop bien.
Plus tard, dans le noir de la chambre, alors qu’il dort d’un sommeil profond, je me lève et je me poste à la fenêtre. Je regarde les grilles de la propriété, infranchissables. Je suis la reine de ce château maudit, aimée à en mourir, étouffée par une passion qui ressemble de plus en plus à de la haine.
SofiaLorenzo se lève avec une grâce d'animal. Il écrase son cigare dans le cendrier, méticuleusement.— Le public est arrivé, murmure-t-il.Ses pas résonnent alors qu'il se dirige vers la porte. Il ne me jette pas un regard. Je ne suis plus sa femme, son trophée, son unique faiblesse. Je suis un spectateur. Un témoin. Le prix de la trahison.La porte d'entrée claque en bas. Des voix étouffées montent. Deux. Celle, grave et contrôlée, de Lorenzo. Et une autre, que je reconnais trop bien, malgré la distance et les murs. Luca. Elle est crispée, tendue. Il ne sait pas. Mon Dieu, il ne sait pas qu'il marche dans une gueule de loup.Les pas approchent dans l'escalier. Lourds. Déterminés. Lorenzo entre le premier, reprenant sa place face à moi. Il a ce petit sourire en coin, celui qui précède toujours la tempête.Et puis Luca franchit le seuil.Son regard me trouve immédiatement, plantée dans ce fauteuil qui n'est pas le mien, sous la lumière crue de l'écran d'ordinateur. Ses yeux, ces yeux
Lorenzo Le temps s’étire, élastique et cruel. Le seul bruit est le ronronnement à peine audible de l’ordinateur, le petit disque dur qui continue, implacable, à vider ses secrets dans la clé USB dont la lumière rouge clignote, trahissant mon crime.Je devrais bouger. Arracher la clé. Fermer les fichiers. Crier. Pleurer. Quelque chose. Mais je suis paralysée, hypnotisée par sa présence silencieuse.Il avance enfin. Ses pas sont feutrés sur le tapis épais. Il contourne le bureau avec la démarche souveraine d’un prédateur inspectant son territoire violé. Son regard passe de mon visage, sans doute livide sous la lueur bleutée de l’écran, à la clé USB, puis à la barre de progression.Il s’arrête juste à côté de moi. Je peux sentir la chaleur de son corps, respirer le parfum familier de son savon, mêlé à l’odeur indéfinissable de la nuit. Une intimité qui devient, à cet instant, la chose la plus horrible au monde.Il se penche. Son souffle effleure ma tempe. Je ferme les yeux, m’attendant
SofiaElena et moi nous précipitons pour éponger avec des serviettes. Dans la confusion, alors que je suis penchée, je glisse la clé USB dans la poche secrète que j’ai cousue il y a des mois, par défi, dans la doublure de mon peignoir. Un geste invisible.Quand Elena part, avec un sourire professionnel et un regard complice pour moi, la clé est sur moi. Brûlante. Accusatrice.Marco monte vérifier.— Tout va bien, Signora ?— Mieux, merci Marco. Je pense que je vais essayer de dormir.Il hoche la tête et sort. La porte se referme.Le vrai combat commence maintenant.Je compte les minutes, assise dans mon lit dans le noir. J’écoute les bruits de la maison. La télévision en bas. Les pas de Marco faisant sa ronde. Je connais son parcours. Il passe devant le bureau de Lorenzo toutes les vingt minutes.Son bureau. L’antre du lion. Interdit. J’ai la clé. J’ai l’opportunité. Et j’ai une peur qui me tord les entrailles.Une heure passe. Puis une autre. La nuit est profonde. Je me lève, mon pei
SofiaJe baisse les yeux, jouant avec ma serviette. Je sens son regard peser sur moi, évaluant, jaugeant la véracité de mes mots.— Tu as besoin de repos, dit-il finalement, sa voix neutre. C’est sans doute mieux. Ces réceptions sont épuisantes. Tu resteras ici. Marco veillera sur toi.— Je n’ai pas besoin de Marco, protesté-je faiblement. Je vais juste dormir.— Marco restera, coupe-t-il avec une douceur qui n’admet pas de réplique. Je ne veux pas que tu sois seule si tu tombes plus malade.Bien sûr. Même malade, je dois être gardée. Emprisonnée. Je hoche la tête, feignant la résignation, alors qu’un affreux soulagement m’envahit. La première étape est franchie.La journée est un supplice. Je reste alitée, écoutant les bruits de la maison se préparer pour le soir. Lorenzo entre une fois, pose une main froide sur mon front.— Tu n’as pas de fièvre.— C’est… c’est neuralgique. C’est comme ça.Il hoche la tête, son expression impénétrable. Il se penche, dépose un baiser sur mon front.—
SofiaLa librairie est un lieu sombre et poussiéreux, sentant le vieux papier et la cire. C’est l’antithèse du monde clinquant de Lorenzo. Marco reste près de l’entrée, son imposante silhouette bloquant presque la lumière. Je m’enfonce dans les allées, entre des étagères montant jusqu’au plafond.Au fond, une petite porte entrouverte laisse voir un bureau encombré. Mon cœur est un tambour fou. Je jette un regard derrière moi. Marco me surveille, mais son attention est retenue un instant par le libraire qui l’aborde pour lui demander s’il cherche quelque chose.C’est mon moment.Je pousse la porte et entre.Il est là, debout, tourné vers la fenêtre qui donne sur une cour intérieure. Luca Conti. Il se retourne à mon entrée. Il ne sourit pas. Son visage est grave, tendu.— Sofia.Juste mon nom. Prononcé sans le possessif écrasant de Lorenzo. Comme une simple constatation. Un soulagement.— Vous êtes fou, murmure-je, le dos contre la porte refermée. Mon garde du corps est à vingt mètres.
Sofia Et puis, je le vois. Une lueur brève, au loin, près des arbres qui bordent la propriété. Une seule. Puis deux. Comme un signal.Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Il a trouvé la bague. Il est là.La fissure vient de s’élargir, et dans l’obscurité, je sens le vertige de l’abîme m’appeler. Je suis terrifiée. Et pour la première fois depuis des années, je me sens vivante .La nuit a été un long combat contre les draps, peuplée de regards accusateurs et de mains qui se referment. Au petit jour, je me sens plus épuisée que lorsque je me suis couchée. Le petit-déjeuner est un rituel silencieux. Lorenzo lit des rapports, son visage un masque de pierre. Il a oublié la tension de la veille, ou il a choisi de l’ignorer. Son monde doit rester lisse, sans aspérités.— Marco te conduira chez la modiste, puis aux boutiques de la Via Montenapoleone. J’ai annulé ton déjeuner avec Chiara. Tu as l’air fatiguée. Une journée calme te fera du bien.Un ordre, déguisé en sollicitude. Je hoche la