LOGINSofia
Et puis, je le vois. Une lueur brève, au loin, près des arbres qui bordent la propriété. Une seule. Puis deux. Comme un signal.
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Il a trouvé la bague. Il est là.
La fissure vient de s’élargir, et dans l’obscurité, je sens le vertige de l’abîme m’appeler. Je suis terrifiée. Et pour la première fois depuis des années, je me sens vivante .
La nuit a été un long combat contre les draps, peuplée de regards accusateurs et de mains qui se referment. Au petit jour, je me sens plus épuisée que lorsque je me suis couchée. Le petit-déjeuner est un rituel silencieux. Lorenzo lit des rapports, son visage un masque de pierre. Il a oublié la tension de la veille, ou il a choisi de l’ignorer. Son monde doit rester lisse, sans aspérités.
— Marco te conduira chez la modiste, puis aux boutiques de la Via Montenapoleone. J’ai annulé ton déjeuner avec Chiara. Tu as l’air fatiguée. Une journée calme te fera du bien.
Un ordre, déguisé en sollicitude. Je hoche la tête, les yeux rivés sur ma tasse de thé. Annuler mon seul vrai rendez-vous amical. M’isoler encore un peu plus. La stratégie est transparente.
La Via Montenapoleone grouille de l’élégance oisive de Milan. Le soleil tape sur les vitrines, créant un monde étincelant et factice. Marco marche à deux pas derrière moi, une présence omnisciente. Chaque clic de mes talons sur le trottoir est un battement de cœur amplifié. Suis-je folle ? Ai-je rêvé ces lumières dans la nuit ?
Je pénètre dans une boutique de maroquinerie, un sanctuaire de cuir souple et de parfums luxueux. L’air conditionné me glace la peau moite. Je fais mine d’examiner un sac, mes doigts caressant la matière sans la sentir. Mon esprit est ailleurs, tendu comme la corde d’un arc.
C’est alors que je le sens. Une présence à côté de moi.
— Excusez-moi, madame.
La voix est calme, polie. Je me retourne, et le monde s’arrête.
Ce n’est pas Luca.
C’est un homme plus jeune, au visage ouvert et aux yeux vifs. Il sourit, un sourire désarmant.
— Je vois que vous avez un œil avisé. J’espère ne pas être indiscret, mais je cherche un cadeau pour ma copine. Vous sembliez si élégante… je me suis dit que votre avis serait précieux.
Mon cœur bat à tout rompre. C’est lui. Ça ne peut être que lui. Un contact. Un intermédiaire. Marco, à l’entrée de la boutique, observe la scène, son regard méfiant balayant l’inconnu. L’homme semble parfaitement naturel, un simple acheteur perdu.
Je respire un coup, forçant un sourire mondain.
— Bien sûr. Je serai ravie de vous aider.
— Merci infiniment, dit-il en se rapprochant légèrement. Il hésite entre ce modèle-ci et le bleu nuit.
Il désigne deux sacs sous la vitrine. Je m’approche, jouant le jeu.
— Le noir est un classique, intemporel. Mais le bleu… le bleu a plus de caractère. Il sort de l’ordinaire.
Je prononce ces mots avec une emphase feinte, comme si la chose la plus importante au monde était le choix de ce sac.
— Le bleu, alors, dit-il en souriant plus largement. Elle aime ce qui est unique.
Il baisse la voix, penchant la tête comme pour examiner la qualité des coutures. Son prochain murmure est à peine audible, destiné uniquement à mes oreilles.
— Il a trouvé votre cadeau. Il vous attend. La librairie antique, Via Solferino. Dans une heure. Le bureau du fond.
Un frisson électrique me parcourt. C’est risqué. C’est de la folie.
— Je… je pense que vous ne le regretterez pas, dis-je à voix haute, la voix légèrement tremblante. Le bleu est un excellent choix.
— Vous m’avez convaincu, madame. Merci encore.
Il me fait un petit signe de tête courtois, salue le vendeur et quitte la boutique, le sac bleu à la main. Simple comme bonjour.
Je reste un moment figée, regardant la porte se refermer. Marco s’approche.
— Tout va bien, Signora Rossi ? Cet homme…
— Un jeune homme perdu, l’interrompis-je avec une désinvolture que je suis loin de ressentir. Il voulait un avis féminin. La politesse, Marco.
Je tourne les talons, feignant de m’intéresser à une écharpe.
— Je pense que j’ai fini ici. Je voudrais aller à la librairie antique, Via Solferino. J’ai envie de relire certains classiques italiens.
Marco hoche la tête, sans méfiance apparente. Les livres font partie de mon personnage, de la décoration de ma prison. C’est une requête plausible.
Le trajet jusqu’à la Via Solferino est un brouillard. Je serre mon sac contre moi, mes ongles creusant le cuir. Chaque feu rouge est une éternité. Chaque regard de Marco dans le rétroviseur me fait sursauter. Je vais au-devant de quoi ? De ma perte ? De ma liberté ?
SofiaLorenzo se lève avec une grâce d'animal. Il écrase son cigare dans le cendrier, méticuleusement.— Le public est arrivé, murmure-t-il.Ses pas résonnent alors qu'il se dirige vers la porte. Il ne me jette pas un regard. Je ne suis plus sa femme, son trophée, son unique faiblesse. Je suis un spectateur. Un témoin. Le prix de la trahison.La porte d'entrée claque en bas. Des voix étouffées montent. Deux. Celle, grave et contrôlée, de Lorenzo. Et une autre, que je reconnais trop bien, malgré la distance et les murs. Luca. Elle est crispée, tendue. Il ne sait pas. Mon Dieu, il ne sait pas qu'il marche dans une gueule de loup.Les pas approchent dans l'escalier. Lourds. Déterminés. Lorenzo entre le premier, reprenant sa place face à moi. Il a ce petit sourire en coin, celui qui précède toujours la tempête.Et puis Luca franchit le seuil.Son regard me trouve immédiatement, plantée dans ce fauteuil qui n'est pas le mien, sous la lumière crue de l'écran d'ordinateur. Ses yeux, ces yeux
Lorenzo Le temps s’étire, élastique et cruel. Le seul bruit est le ronronnement à peine audible de l’ordinateur, le petit disque dur qui continue, implacable, à vider ses secrets dans la clé USB dont la lumière rouge clignote, trahissant mon crime.Je devrais bouger. Arracher la clé. Fermer les fichiers. Crier. Pleurer. Quelque chose. Mais je suis paralysée, hypnotisée par sa présence silencieuse.Il avance enfin. Ses pas sont feutrés sur le tapis épais. Il contourne le bureau avec la démarche souveraine d’un prédateur inspectant son territoire violé. Son regard passe de mon visage, sans doute livide sous la lueur bleutée de l’écran, à la clé USB, puis à la barre de progression.Il s’arrête juste à côté de moi. Je peux sentir la chaleur de son corps, respirer le parfum familier de son savon, mêlé à l’odeur indéfinissable de la nuit. Une intimité qui devient, à cet instant, la chose la plus horrible au monde.Il se penche. Son souffle effleure ma tempe. Je ferme les yeux, m’attendant
SofiaElena et moi nous précipitons pour éponger avec des serviettes. Dans la confusion, alors que je suis penchée, je glisse la clé USB dans la poche secrète que j’ai cousue il y a des mois, par défi, dans la doublure de mon peignoir. Un geste invisible.Quand Elena part, avec un sourire professionnel et un regard complice pour moi, la clé est sur moi. Brûlante. Accusatrice.Marco monte vérifier.— Tout va bien, Signora ?— Mieux, merci Marco. Je pense que je vais essayer de dormir.Il hoche la tête et sort. La porte se referme.Le vrai combat commence maintenant.Je compte les minutes, assise dans mon lit dans le noir. J’écoute les bruits de la maison. La télévision en bas. Les pas de Marco faisant sa ronde. Je connais son parcours. Il passe devant le bureau de Lorenzo toutes les vingt minutes.Son bureau. L’antre du lion. Interdit. J’ai la clé. J’ai l’opportunité. Et j’ai une peur qui me tord les entrailles.Une heure passe. Puis une autre. La nuit est profonde. Je me lève, mon pei
SofiaJe baisse les yeux, jouant avec ma serviette. Je sens son regard peser sur moi, évaluant, jaugeant la véracité de mes mots.— Tu as besoin de repos, dit-il finalement, sa voix neutre. C’est sans doute mieux. Ces réceptions sont épuisantes. Tu resteras ici. Marco veillera sur toi.— Je n’ai pas besoin de Marco, protesté-je faiblement. Je vais juste dormir.— Marco restera, coupe-t-il avec une douceur qui n’admet pas de réplique. Je ne veux pas que tu sois seule si tu tombes plus malade.Bien sûr. Même malade, je dois être gardée. Emprisonnée. Je hoche la tête, feignant la résignation, alors qu’un affreux soulagement m’envahit. La première étape est franchie.La journée est un supplice. Je reste alitée, écoutant les bruits de la maison se préparer pour le soir. Lorenzo entre une fois, pose une main froide sur mon front.— Tu n’as pas de fièvre.— C’est… c’est neuralgique. C’est comme ça.Il hoche la tête, son expression impénétrable. Il se penche, dépose un baiser sur mon front.—
SofiaLa librairie est un lieu sombre et poussiéreux, sentant le vieux papier et la cire. C’est l’antithèse du monde clinquant de Lorenzo. Marco reste près de l’entrée, son imposante silhouette bloquant presque la lumière. Je m’enfonce dans les allées, entre des étagères montant jusqu’au plafond.Au fond, une petite porte entrouverte laisse voir un bureau encombré. Mon cœur est un tambour fou. Je jette un regard derrière moi. Marco me surveille, mais son attention est retenue un instant par le libraire qui l’aborde pour lui demander s’il cherche quelque chose.C’est mon moment.Je pousse la porte et entre.Il est là, debout, tourné vers la fenêtre qui donne sur une cour intérieure. Luca Conti. Il se retourne à mon entrée. Il ne sourit pas. Son visage est grave, tendu.— Sofia.Juste mon nom. Prononcé sans le possessif écrasant de Lorenzo. Comme une simple constatation. Un soulagement.— Vous êtes fou, murmure-je, le dos contre la porte refermée. Mon garde du corps est à vingt mètres.
Sofia Et puis, je le vois. Une lueur brève, au loin, près des arbres qui bordent la propriété. Une seule. Puis deux. Comme un signal.Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Il a trouvé la bague. Il est là.La fissure vient de s’élargir, et dans l’obscurité, je sens le vertige de l’abîme m’appeler. Je suis terrifiée. Et pour la première fois depuis des années, je me sens vivante .La nuit a été un long combat contre les draps, peuplée de regards accusateurs et de mains qui se referment. Au petit jour, je me sens plus épuisée que lorsque je me suis couchée. Le petit-déjeuner est un rituel silencieux. Lorenzo lit des rapports, son visage un masque de pierre. Il a oublié la tension de la veille, ou il a choisi de l’ignorer. Son monde doit rester lisse, sans aspérités.— Marco te conduira chez la modiste, puis aux boutiques de la Via Montenapoleone. J’ai annulé ton déjeuner avec Chiara. Tu as l’air fatiguée. Une journée calme te fera du bien.Un ordre, déguisé en sollicitude. Je hoche la







