Nahia
Parce que je ne me sentais pas héroïque.
Je me sentais comme un silence trop lourd. Un vide trop profond.
Mais j’ai hoché la tête. Et j’ai gardé le silence.
Trois jours plus tard.
Les murs de l’hôpital sont devenus familiers. Trop blancs. Trop froids. L’odeur de désinfectant colle à ma peau. Je marche entre les couloirs avec mes plateaux, les yeux brûlés de fatigue.
Maman ne respire plus bien. Ses poumons lâchent. Le médecin m’a parlé d’un transfert en soins intensifs , urgent , inévitable.
Mais je n’ai pas l’argent.
Je n’ai plus rien , plus de force. Plus de dignité. Juste ce vide en moi que la nuit d’hôtel n’a pas su combler.
Alors quand l’homme en costume entre dans le service, j’ai l’impression que le temps s’arrête.
Je sais que c’est lui.
Pas parce que je le reconnais.
Mais parce que l’air change autour de lui. Parce que le silence s’installe comme une chape de plomb.
Il s’approche.
Et me tend une enveloppe.
Je la prends. Mes doigts tremblent malgré moi.
À l’intérieur : une carte, une adresse, un numéro.
Et ces deux mots, tracés à l’encre noire.
— Il vous attend.
Je sens mon ventre se tordre. Ma gorge se refermer.
Mais je sais déjà que j’irai.
Parce que ma mère n’a plus le temps.
Et que moi… je n’ai plus d’autre issue.
Je n’ai rien mangé depuis la veille.
Pas parce que je n’ai pas faim. Mais parce que tout a un goût de cendre, depuis cette nuit-là. Même l’eau me brûle la gorge.
Je suis rentrée. J’ai lavé mes vêtements deux fois. Puis mes cheveux. Puis ma peau. Mais l’odeur est restée. Ou peut-être que c’est dans ma tête , dans mon ventre , dans mes os.
Je l’ai laissé me prendre. Je l’ai laissé entrer en moi alors que personne ne l’avait jamais fait.
Et je ne peux pas m’empêcher de me demander si ça aurait été différent… s’il avait été quelqu’un d’autre.
Quelqu’un de doux.
Quelqu’un qui m’aurait regardée.
Parce que lui, il ne m’a jamais regardée vraiment. Pas comme une personne. Pas comme une fille. Il m’a prise comme on s’approprie une chose. Et pourtant, je n’ai pas dit non. Je n’ai pas crié. Je n’ai pas fui. Pourquoi ?
Je suis allée là-bas de mon plein gré. J’ai attendu. J’ai ouvert la porte. J’ai défait ma robe. Est-ce que ça fait de moi une pute ?
Je ne suis pas comme Camila. Je ne l’ai jamais été. Et pourtant, pour un instant… j’ai pris sa place. Et ça me colle à la peau comme une étiquette que je n’arrive pas à arracher.
Je tourne en rond dans l’appartement. Le téléphone est posé sur la table. L’enveloppe aussi.
Son nom n’était pas écrit. Mais je sais qu’il s’agit de lui. Cet homme. Ce monstre. Ce dieu. Je ne sais plus.
Pourquoi il me veut encore ? Il aurait pu appeler Camila. Il aurait pu choisir une autre. Pourquoi moi ?
Je passe devant le miroir. Je m’arrête.
Je me regarde, longtemps.
Et soudain, l’image me frappe : ce n’est pas une victime que je vois.
C’est une fille que je ne reconnais plus. Les lèvres serrées. Les yeux secs. Les mains crispées.
Je déteste ce qu’il a réveillé en moi.
Mais je déteste encore plus le fait que… j’ai pensé à lui.
Pas à ce qu’il m’a fait.
À lui.
À ses mains.
À sa voix.
Et à cette façon qu’il a eue de prendre sans demander, sans trembler, sans hésiter.
Je secoue la tête.
Non. Je ne peux pas replonger là-dedans. Je dois me concentrer sur maman. Sur ses soins. Sur l’hôpital.
Et pourtant, mes doigts effleurent l’enveloppe.
Une fois. Deux fois.
Je n’ai qu’à l’appeler.
Juste une fois.
Mais si je le fais, je bascule.
Et je sens déjà le vertige me happer.
Chapitre 3 — Le goût du manque
Salvatore
Elle n’aurait jamais dû rester dans mon esprit.
Je n’ai ni son nom, ni son histoire. Seulement une odeur. Une peau. Une voix à peine audible, glissée entre deux silences.
Et ce regard. Ce regard qui ne suppliait pas. Qui ne fuyait pas.
Un regard vide. Trop vide.
Je déteste les imprévus.
Je ne supporte pas qu’on trouble mes certitudes.
Et pourtant, depuis cette nuit-là, tout a perdu sa saveur. Même le whisky. Même la vengeance.
Elle n’était rien qu'une erreur de dernière minute , qu'une remplaçante , une fille de passage.
Mais jamais encore je n’avais ressenti ce manque. Cette tension sous la peau, comme un poison qui refuse de s’éteindre.
Je l’ai prise pour faire taire ce que je devinais en elle.
Cette flamme , ce défi muet , cette faille qu’elle camouflait mal.
Mais elle s’est offerte sans un mot. Sans résistance.
Et c’est cela qui m’a désarmé.
Ce n’était pas de la docilité. Ni de la résignation.
C’était autre chose.
Une forme de silence plus dangereuse que tous les cris.
Un vide dans lequel je suis tombé tête la première.
Depuis, je ne dors plus.
Je travaille. Je tranche. Je dicte mes lois à des hommes qui tremblent en souriant.
Mais elle…
Elle s’impose.
Présente jusque dans l’absence.
Nue dans mes pensées.
Inexplicable.
Et puis, il y a eu la révélation.
Elle n’était pas une prostituée.
Elle ne faisait pas ce métier.
Elle a revêtu un rôle qu’elle ne maîtrisait pas. Elle a joué un personnage avec la maladresse de l’urgence. Et moi, je l’ai marquée. Comme un animal marque ce qu’il refuse de perdre.
Elle est à moi.
Même si elle l’ignore encore.
J’ai demandé qu’on la retrouve.
Discrètement. Sans fracas.
Un prénom, un numéro, une adresse. Je n’avais besoin de rien d’autre. Je ne veux pas la connaître. Je veux la posséder.
Je suis Salvatore Caruso.
Et ce que je décide, je l’obtiens.
L’enveloppe est partie ce matin. L’offre est claire.
Cinq millions.
Six mois.
Son corps.
Son silence.
J’y ai ajouté une clause que mes hommes n’ont même pas osé questionner :
Aucune échappatoire.
Aucune fuite.
Je ne lui demande pas d’aimer ça.
Je ne lui laisse pas le choix.
Les faibles mendient. Les autres marchandent.
Mais elle… elle n’a rien dit.
Rien.
Et c’est précisément pour cela que je veux la briser.
Ou peut-être… la comprendre.
Mais non. Je refuse d’aller jusque-là , je ne ressens pas.
Je conquiers , je consume.
Et pourtant, elle a réveillé en moi quelque chose que je croyais éteint.
Je ne peux pas la laisser s’évanouir dans l’oubli.
Pas maintenant , pas après ça.
Je fixe les écrans. Les caméras. Les rapports tombent.
Elle n’a pas appelé.
Mais elle a touché l’enveloppe.
Trois fois , elle lutte , je souris.
Je connais ce frisson , ce doute , ce vertige.
Ce n’est pas l’argent qui la fera céder.
C’est l’appel du vide.
Et moi…..Moi, je suis la chute.
NAHIAJe m’arrête devant la porte de l’ascenseur, le souffle court, le cœur toujours au bord de l’explosion.Le hall est vide . Le silence y est plus oppressant que dans la chambre.Je reste là une seconde, le dos contre le mur glacé, les yeux fermés.Je n’ai pas fui, je me dis.J’ai survécu.Mais mes mains tremblent encore.Je me baisse pour ramasser mes sous-vêtements et c’est là que je le sens.Un pincement. Une tension. Une brûlure diffuse entre mes cuisses.Je grimace. Discrètement.Mais c’est là.Il est là.Encore.Mon corps me le rappelle à chaque mouvement.Je suis engourdie , froissée , lente.Je m’habille tant bien que mal dans le couloir désert, là où la moquette étouffe les bruits mais pas la honte.Ma culotte me colle à la peau.Mon soutien-gorge grince contre mes omoplates endolories.Et ma robe… ma robe me serre comme un rappel cruel de ce qu’il a fait d’elle.De ce qu’il a fait de moi.Je m’accroche au mur pour enfiler mes chaussures.Je vacille.Mon entrejambe protest
NAHIAJ'ouvre les yeux dans un silence épais.Le genre de silence qui colle à la peau. Qui résonne dans la cage thoracique comme un cri qu’on n’a pas osé pousser.Tout est flou, indistinct.La lumière est pâle, livide, étrangère. L’aube sans chaleur d’un matin qui ne promet rien, sinon l’inévitable retour à moi-même.Je suis allongée , toujours nue et moite .Sa peau contre la mienne.Sa main, posée sur ma hanche, lourde, brûlante, possessive même dans le sommeil.Son souffle, régulier, paisible, effleure ma nuque à intervalles précis, comme un rappel cruel de ce qui s’est passé.De ce que j’ai permis.Et pourtant, tout hurle en moi.Ma peau, mes muscles, mon souffle.Tout me supplie de partir. Maintenant. Tout de suite. Avant qu’il n’ouvre les yeux.Avant qu’il ne m’attache à nouveau pas avec des chaînes. Avec son regard.Je me détache , centimètre par centimètre.Son bras glisse, retombe contre le matelas dans un soupir de tissu froissé.Il ne se réveille pas , pas encore , heureuse
NAHIASon regard me consume.Lentement , brutalement.Il ne me regarde pas, il me pénètre avec ses yeux . Il me transperce avec une intensité qui me donne le vertige.Il ne parle pas. Il ne sourit pas. Il me dévore, sans bouger, sans un mot.Et pourtant, je me sens dépouillée.Il avance d'un pas , puis un autre.Rien n’est précipité , tout est calculé, contrôlé. Il n’a pas besoin de se hâter. Il sait que je suis déjà à lui.Ses bottes heurtent doucement le sol, et chaque son résonne dans ma poitrine comme un écho sourd.Je recule d’un souffle, incapable de fuir plus loin, les jambes tremblantes, l’âme en suspens.Il s’arrête tout près . À peine un souffle entre nous.Son regard se plante dans le mien, noir, insondable, chargé d’une violence retenue. Il n’a rien de tendre. Il n’a rien d’innocent.Et pourtant, je ne recule pas.Je reste là prisonnière et volontaire.Il lève lentement les bras, attrape le bas de sa chemise noire, et l’enlève.Le tissu remonte sur son torse, découvre une
NAHIAIl ne me touche pas , pas tout de suite.Il reste là à quelques centimètres. À peine . Et pourtant, c’est comme s’il me tenait déjà.Son regard est un piège lent.Un courant qui m’aspire vers lui, inexorable.Il ne cligne pas des yeux. Il attend. Il observe.Comme un prédateur qui sait que la proie viendra d’elle-même.Je sens mon souffle devenir instable.Une chaleur sourde me grimpe le long du ventre.Mes jambes semblent appartenir à une autre . Je suis figée non par peur, mais par ce quelque chose d’indicible qui me traverse.Il fait un pas. Puis un autre.Ses chaussures effleurent le tapis dans un silence menaçant.Il avance comme s’il entrait dans une cathédrale lentement, religieusement.Et moi, j’attends l’impact.Son doigt frôle mon menton. Juste ce contact.Et déjà, un frisson me parcourt toute entière.Il me relève le visage, doucement.Je résiste à peine. Parce que je sais que c’est inutile. Parce qu’au fond, je veux qu’il me voie.Mon regard croise le sien.Ses pupil
NAHIAJe signe : une lettre , puis une autre.Puis encore une.Chaque mouvement du stylo est un clou dans ma liberté.Ma main tremble, mais je serre les dents. Je veux aller jusqu’au bout. En finir.Je ne lève pas les yeux. Je ne veux pas croiser son regard pendant que je m’enchaîne de mon plein gré.La dernière lettre , puis le point et enfin le silence.Je repose le stylo. Lentement. Comme si je déposais une arme que je ne saurais plus jamais manier.Il prend le contrat. Le lit d’un œil attentif, presque détaché. Puis referme le dossier, le glisse dans une mallette noire. Il verrouille.Le clic du fermoir résonne dans la pièce comme un coup de feu.Je me lève. Trop vite.Ma respiration s’affole.Mon cœur cogne.Je veux sortir maintenant.Avant qu’il ne soit trop tard.— Je vais y aller.Ma voix me surprend car elle est sèche , râpeuse. Comme si elle sortait de quelqu’un d’autre.Je contourne la table, serre mon sac contre moi. Je sens son regard me suivre, glisser sur ma nuque, sur
NahiaJe ne sais pas pourquoi j’ai répondu.Peut-être parce que je n’en pouvais plus de penser. De tourner en rond. De sentir l’odeur de sa peau accrochée à la mienne comme une brûlure qu’aucun savon ne sait laver.Ou peut-être… parce qu’une part de moi voulait entendre sa voix. Une seule fois. Pour être sûre qu’il n’était qu’un cauchemar.Mais ce n’était pas un cauchemar.C’était pire. C’était réel.Quand j’ai décroché, je suis restée muette.Je pensais avoir le temps de respirer. De poser des mots. De dire non.Mais il n’a pas attendu.— Prépare-toi. J’envoie une voiture.Sa voix a claqué comme un ordre. Sèche, tranchante, impérieuse.Pas une invitation . Ce n'est pas une demande . C'est une vérité nue. Une décision déjà prise pour moi.J’ai voulu refuser. Mes lèvres se sont entrouvertes. Mais rien n’est sorti. Rien, sinon ce vide que je traîne depuis cette nuit.Et maintenant, je suis là.Piégée dans une bulle de silence feutré, au sommet d’un hôtel qui domine toute la ville.Un dé