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Nahia
— Tu vas me dire que t’y penses même pas ?
Camila lève un sourcil, accoudée sur la table basse de son minuscule studio. Un bol de nouilles instantanées entre nous, deux bières tièdes, et une bougie qui se bat pour survivre entre les tasses vides. On aurait presque pu croire qu’on menait une vie normale.
Je détourne les yeux.
— C’est de la folie. Tu veux que je me prostitue.
— Non. Je te propose une opportunité. Une nuit avec une robe. Un hôtel de luxe. Et un type qui ne pose pas de questions. Tu prends l’enveloppe, tu repars, tu l’oublies.
— Tu l’oublies, toi ? dis-je en plantant mon regard dans le sien.
Elle sourit, amer.
— Non. Mais j’ai appris à vivre avec. Et toi… tu n'as pas le luxe d’attendre un miracle. Il te faut cet argent, Nahia.
Je passe une main dans mes cheveux. Je suis fatiguée. Ma mère n’a plus que quelques semaines si on ne la transfère pas dans une clinique privée. Et je n’ai que des dettes, des heures de travail mal payées, et des factures en feu.
— Tu veux pas réfléchir à ça maintenant, ajoute Camila plus doucement. Tu veux pas te souvenir de ta première fois comme d’un accident dans une ruelle sombre. Là, au moins… ce sera propre. Contrôlé. Un hôtel cinq étoiles. Un lit trop grand. Un homme qui paye très bien pour très peu.
— Il va savoir que je suis pas toi.
— Non. Il s’en fout. Il veut du silence, pas des confidences.
Je ris, nerveusement.
— Je n’ai pas la gueule d’une escort.
— Et moi j’avais la gueule d’une avocate ? rétorque-t-elle en se levant pour fouiller dans son armoire. Tiens. Mets ça.
Elle me tend une robe noire. Dos nu , décolletée , intimidante.
— Tu vas l’enfiler, marcher dans ce hall comme si tu y étais née, et rentrer avec l’argent. Il ne demandera pas plus d'une heure ou deux.
Je reste immobile, la robe entre les mains.
— Si tu changes d’avis, tu pars. Il ne te doit rien. Toi non plus.
— Mais tu crois qu’il voudra de moi ?
— Nahia , ce type a réservé une suite entière, en liquide, sans laisser de nom. S’il voulait une poupée de luxe, il serait allé ailleurs. Il veut quelque chose… de vrai. Même s’il ne sait pas le dire.
Je la regarde . Elle croit vraiment ce qu’elle dit.
Et peut-être que moi aussi, j’ai envie d’y croire.
Je hoche la tête.
Elle s’approche et me prend la main.
— Je serai là. Tu m’envoies un message quand tu y es. Je t’attends en bas, d’accord ?
— D’accord.
— Tu vas y arriver. Tu fais ça pour elle.
Je ferme les yeux : Oui , pour maman , pas pour moi.
Le hall de l’hôtel Armand sent la vanille glacée et le bois ciré. Tout y est feutré, trop silencieux, comme si le luxe savait qu’il n’avait rien à prouver. Mes talons claquent doucement sur le marbre. Mon cœur cogne plus fort que mes pas.
Suite 508 , Je n’ai jamais pris d’ascenseur si lent.
Je n’ai jamais eu autant envie de fuir.
Mais quand la porte s’ouvre… il est là , immobile , impeccable , costume noir sur noir , regard de marbre , aucun mot , juste un hochement de tête, une invite muette . Il est immense , si , musclé et...il est très beau mais... intimidant .
J’entre.
Le parfum boisé. Les rideaux tirés. Le silence.
Je me tiens au centre de la pièce, les épaules tendues, le souffle court.
Il me regarde.
Pas comme un homme regarde une femme.
Plutôt comme un roi observe une pièce sur un échiquier.
J’ai envie de parler. De dire que c’est ma première fois. Que je suis pas vraiment Camila. Que je tremble sous cette robe.
Mais il ne me le demande pas.
Il s’approche , il est masqué , mais pas moi .
Et je le laisse faire.
Je me souviens de ses mains.
De leur froideur calme, de leur précision méthodique.
Il ne m’a pas touchée pour me découvrir.
Il m’a touchée pour me posséder.
Il n’y avait ni hâte ni brutalité dans ses gestes mais quelque chose de plus effrayant encore : une maîtrise absolue. Comme s’il avait déjà fait ça mille fois. Comme si mon corps n’était qu’un terrain de plus à conquérir. Sans émotion. Sans hésitation.
Quand il m’a poussée sur le lit, j’ai retenu ma respiration. Je me suis raidie, incapable de répondre à ce regard noir et distant qu’il posait sur moi.
Je ne tremblais pas , c’était pire.
J’étais figée. Comme un animal piégé dans une lumière trop crue.
Sa chemise glissait lentement sur le sol, ses boutons ouverts un à un, sans urgence, sans commentaire. Je me souviens avoir fixé son torse, cherchant une distraction, quelque chose d’humain à quoi m’accrocher. Il n’y avait rien.
Pas un mot.
Pas une caresse pour apaiser.
Juste cette certitude dans l’air, étouffante : je ne pouvais plus reculer.
Il a défait la fermeture de ma robe.
Je n’ai pas protesté.
J’ai fermé les yeux , lutter contre les larmes , il m'a caressé , embrassé .
Sa main s’est posée sur ma hanche nue. Elle n’a pas tremblé. La mienne, si.
Puis il est monté sur moi, son souffle régulier effleurant mon cou. J’ai senti son poids, sa chaleur. Et un froid terrible s’est installé dans ma poitrine.
Quand il m’a prise, mon corps s’est tendu d’un coup. Une douleur tranchante m’a arraché un gémissement étouffé.
J’ai mordu ma lèvre jusqu’au sang.
Ce n’était pas juste physique.
C’était comme si quelque chose en moi se déchirait. Quelque chose d’invisible et profond. Mon ventre s’est tordu. Mes yeux se sont remplis sans que je comprenne vraiment pourquoi.
Je ne voulais pas qu’il sache.
Je ne voulais pas qu’il voit que c’était ma première fois.
Mais je crois qu’il l’a senti.
Et il n’a rien dit.
Il a continué. Lentement. Avec cette force contenue, millimétrée. Comme s’il dictait un rythme que seul lui connaissait. Ses mouvements étaient lents, lourds. Un mélange étrange entre puissance et contrôle.
Je me suis accrochée aux draps. Je voulais que ce soit fini. Je voulais sortir de moi-même , fuir cette pièce , ce lit , ce rôle . Et pourtant…
Je suis restée.
Je me suis laissée faire.
Parce que je n’avais plus rien d’autre à offrir que mon silence.
Quand tout a été fini, j’ai senti le lit se vider de sa présence comme on se vide d’un poison lent. Il s’est levé, s’est habillé sans un regard pour moi. Il a remis ses boutons, l’un après l’autre, sans se presser.
Et moi, je suis restée là , nue . Le corps brûlant , la douleur entre mes jambes me rappelait chaque seconde que je ne pourrais plus faire marche arrière.
Je me suis levée lentement. Mes membres étaient engourdis. Mon ventre me faisait mal. Je suis allée récupérer mes vêtements à tâtons, comme une étrangère dans ma propre peau.
Je n’ai pas dit un mot.
Je n’ai pas regardé en arrière.
Je me suis échappée.
Camila était là, dehors, assise sur le muret face à l’entrée. Quand elle m’a vue, elle s’est levée en courant.
— T’as tenu ?
J’ai hoché la tête, sans la regarder.
Elle s’est approchée, a pris mon visage entre ses mains.
— Il t’a fait mal ?
Ma voix a tremblé.
— Oui.
Elle a serré les dents. Puis elle m’a prise dans ses bras.
— Je suis désolée, Nahia. T’aurais jamais dû faire ça pour moi. Mais maintenant… tu vas pouvoir payer les soins. Tu vas pouvoir sauver ta mère.
Je n’ai rien répondu.
Nahia Je commence par Sombre. Je m’assois à cheval sur ses hanches, ma peau contre la sienne. Je me penche, et mes lèvres trouvent sa bouche. Ce n’est pas un baiser de passion déchaînée, mais de reconquête. Un baiser lent, profond, qui dit je te vois, je te prends, tu es à moi. Ses mains se posent sur mes hanches, m’ancrant.Puis, sans rompre le contact avec lui, je tends un bras vers Ténèbre. Ma main trouve la sienne, l’entrelace. Je tourne la tête, et mes lèvres quittent celles de Sombre pour se poser sur l’épaule de Ténèbre, sur une cicatrice en forme d’étoile. Je l’embrasse, la lèche, comme pour en extraire le poison des vieilles blessures. Il émet un son rauque, étouffé, et sa main se resserre sur la mienne.Je suis le pont. Le lien vivant.Je descends le long du corps de Sombre, mes lèvres et mes mains explorant chaque centimètre, ravivant la mémoire de sa peau sous ma bouche. Puis je fais de même avec Ténèbre, goûtant la différence de sa texture, la réserve effrayante de sa fo
SOMBRELa guerre n’est pas venue comme un orage. Elle est venue comme un poison, lent, insidieux. Les semaines qui ont suivi l’Annonce ont été un chef-d’œuvre de pression discrète. Des contrats qui s’évaporent. Des alliés qui se font vagues. Des rumeurs plus viles, plus ciblées, lancées dans les bons cercles. Ils ont essayé de nous isoler, de nous étouffer dans la soie et les menaces chuchotées.Ils ont échoué.Parce que leur poison s’est heurté à un anticorps qu’ils ne comprenaient pas : notre unité. Chaque attaque contre l’un nous a rapprochés tous les trois. Chaque tentative de nous diviser a renforcé les liens d’acier entre nous.Ce soir, nous sommes de retour dans la maison du jardin. Pas celle de Moscou, non. La première. Celle où le pacte est né dans le sang et le miel. Elle a été sécurisée, transformée en forteresse discrète. Nos gains de Moscou ont permis cela. Un refuge. Notre refuge.La lune est pleine, comme la nuit du serment. Mais il n’y a pas de lanternes, pas de témoin
NAHIAElle tend ses mains. Nous les prenons. Le geste est théâtral, mais terriblement sincère. Nos bagues d’acier se heurtent avec un léger choc que tout le monde semble entendre.— Quiconque s’en prend à l’un, s’en prend aux trois, dit ma voix, qui tonne dans le silence. Quiconque respecte l’un, gagne le respect des trois.Ténèbre, lui, ne parle pas. Il se contente de balayer la foule du regard, son visage un masque de glace. Sa présence silencieuse est plus éloquente qu’un discours. C’est une menace pure.Volkov a un petit sourire en coin. Il apprécie le spectacle. Le culot.Mais tous n’apprécient pas. Je vois le visage de l’ancien du FSB, celui que Nahia avait repoussé. Il est rouge de colère contenue. L’amiral a l’air inquiet, son petit-fils vaguement amusé. Irina, la fille du ministre, nous regarde avec une fascination mêlée de crainte.Nahia lâche nos mains. Elle fait un pas en avant, au bord de l’estrade.—La fête est à vous maintenant. Buvez. Dansez. Négociez. Mais n’oubliez j
NAHIALe jour est un diamant froid et coupant. Un soleil pâle et sans chaleur illumine Moscou, glissant sur les dômes dorés et les façades austères. Dans la suite, l’air est aussi tendu que la soie de ma robe. Une robe qui n’est ni blaine ni rouge, mais d’un noir de jais absolu. Elle épouse mes formes sans concession, un fourreau de ténèbres. Elle a des manches longues, un col haut, une perfection glaciale qui ne s’ouvre que dans le dos, une chute vertigineuse jusqu’à la base de ma colonne vertébrale. Une armure. Une provocation. Mes bijoux sont d’acier poli, assortis à nos bagues. Rien de l’or vulgaire de ce monde.Camila est là. Mon ancre dans la folie. Elle m’aide avec des mains sûres, ajustant un pli, vérifiant la fermeture éclair.—Tu es sûre de toi ? demande-t-elle pour la centième fois, mais ce n’est plus une mise en garde. C’est une confirmation.Je tourne la tête, rencontre son regard dans le miroir.—Plus que jamais. Je ne vais pas à un mariage, Cam. Je vais à une déclaratio
TÉNÈBRESombre la regarde, et je vois l’admiration se muer en une compréhension plus profonde. Il voit où elle va. Il voit la folie. Et la puissance absolue de cette folie.— Une annonce de fiançailles, souffle-t-il.Le mot tombe dans la pièce comme une pierre dans un puits sans fond.Fiançailles.Pas un mariage. Pas une soumission à leurs lois. Mais une promesse. Un pacte officialisé, exhibé, jeté à la face de leurs mondes respectifs. À la face du monde entier, de leur petit monde fangeux et doré.Nahia hoche la tête, un sourire de fauve aux lèvres.—Exactement. Les fiançailles de Nahia Volkov avec ses partenaires, ses protecteurs, ses égaux. Sombre et Ténèbre. Une célébration. Une démonstration de force. Personne ne pourra plus chuchoter. Ils devront regarder. Et s’incliner. Ou se préparer à se battre.Je suis submergé. Par l’audace. Par la folie pure et magnifique de la chose. C’est plus qu’un coup stratégique. C’est une déclaration d’amour pervertie, déformée en arme de guerre. C’
TÉNÈBRELa suite de l’hôtel est un sarcophage de marbre et de soie. L’air y est trop chaud, trop parfumé, saturé des mensonges de la soirée. Dès que la porte se referme sur le dernier valet, le masque tombe. D’un seul mouvement, je déchire le nœud de ma chemise qui m’étouffe, et Sombre arrache son veston qu’il jette sur un fauteuil Louis XV comme un chiffon sale. Nahia, debout au centre de la pièce, est une statue de tension. Sa main tremble légèrement lorsqu’elle retire, un à un, les épingles qui retiennent sa coiffure sophistiquée.Le silence est énorme. Il n’est pas paisible. Il est lourd de tout ce qui a été vu, entendu, manigancé. Et de ce qui doit venir.Sombre va au bar roulant, se sert trois doigts de vodka pure dans un verre à eau. Pas le champagne russe de la réception. La vraie chose. Il avale d’un trait, ferme les yeux, laisse le feu descendre.— Alors, dit-il enfin, sa voix rêche. Ça y est. Nous sommes dans la gueule du loup.— Nous sommes des loups, corrige Nahia. Dans l







