Chapitre 2

Dans le grand salon du manoir pour les Colbert, le regard posé sur ses mains encore juvéniles, Sarah a pris conscience de sa renaissance.

Assis au centre du canapé, Thibaud Colbert, le patriarche du la famille, fixait la jeune femme de son œil acéré. « Sarah, es-tu certaine de vouloir accompagner Xavier à Achiville ? » Sa voix portait le poids des années.

Les souvenirs ont afflué : ce voyage d'affaires dissimulait en réalité les retrouvailles de Xavier avec Inès, son premier amour. Dans son existence antérieure, cette révélation l'avait poussée à exiger de le suivre.

Fille du chauffeur qui s'était sacrifié pour sauver Thibaud, elle avait été recueillie par les Colbert par gratitude. Gâtée et choyée, on la traitait presque comme l'une des leurs. Ainsi, Thibaud avait naturellement cédé à sa requête...

Aujourd'hui, assis près du vieil homme, Xavier est apparu vêtu d'un costume noir sur mesure. Il a croisé les jambes avec désinvolture, une mèche rebelle cachant partiellement son regard, ne laissant voir que ses lèvres serrées.

À sa vue, Sarah a eu le souffle coupé.

Le flot des tragédies passées a submergé sa mémoire, étreignant son cœur et glaçant son sang.

C'était cet homme qui l'avait dominée, méprisée, et rejetée comme un déchet...

Elle le haïssait. Cette haine, née de son dédain et cimentée par son oppression, était devenue l'essence même de son existence.

Ignorant son tumulte intérieur, Xavier s'est contenté de froncer les sourcils, tapotant son genou avec une impatience non dissimulée. Il semblait convaincu qu'elle allait une fois de plus s'accrocher à lui.

Mais cette fois, Sarah était déterminée à briser le cycle. Avant qu'elle ne puisse prononcer un mot, la voix obséquieuse de sa mère, Chantal Regnard, a couvert la sienne :

« Bien sûr qu'elle l'accompagne ! Sarah ne le quitte jamais, elle est comme son ombre. Cette fois ne fait pas exception... »

« Inutile », l'a interrompue Sarah d'un ton doux mais inflexible.

Cette réponse inattendue a fait silence dans le salon. Tous les regards se sont tournés vers elle, excepté ceux, indifférents, de Xavier.

La jeune femme a relevé le menton, son regard clair fixant Thibaud : « Les examens approchent. Je préfère me concentrer sur mes révisions plutôt que de perturber le travail de Xavier. »

Une lueur de surprise a traversé les yeux du vieil homme.

Chantal, affolée, s'est approchée en hâte et lui a agrippé le poignet : « Ne l'écoutez pas, elle ne sait ce qu'elle dit ! Tout le monde voit bien à quel point elle tient à l'accompagner. »

« Maman », Sarah s'est dégagée calmement, « je veux simplement étudier. »

Là où sa mère ne percevait qu'une façade, elle voyait la vérité : la bienveillance de Thibaud n'était qu'un leurre. Il la traitait en jouet sans importance, comme il l'avait prouvé dans sa vie antérieure en l'abandonnant à son sort, sans même un regard pour Ambre.

Elle a répété avec une détermination posée : « J'ai agi en enfant gâtée jusqu'ici, mais je réalise maintenant que Xavier a des responsabilités bien trop lourdes. Je ne veux pas lui être un fardeau supplémentaire. »

Avant que Thibaud ne réponde, Xavier s'est levé, lassé. Son regard glacé l'a transpercée : « Comme tu voudras. »

Puis il a quitté la pièce sans un mot de plus.

Thibaud n'a pas insisté et leur a fait signe de se retirer.

Seule enfin, Sarah a respiré profondément.

...

Dans la voiture garée devant le manoir, Hector a jeté un regard prudent à son patron à travers le rétroviseur.

En tant qu'assistant personnel de Xavier, il connaissait bien les dynamiques des Colbert. Il savait que son patron éprouvait pour Sarah une aversion profonde.

La raison de leur visite aujourd'hui ? Il était certain que cette fille adoptive insupportable avait encore dû semer le trouble.

Les sourcils constamment froncés de Xavier en étaient la preuve.

Mais l'affaire était réglée, non ? Pourquoi semblait-il plus irrité qu'à l'arrivée ?

Peut-être que Sarah, abusant de la bienveillance de Thibaud, avait formulé une demande déraisonnable ? Comme celle de les accompagner en déplacement, comme autrefois ?

Hector a scruté les abords : aucune trace de la jeune femme qui, d'habitude, s'accrochait à eux.

Il s'est risqué : « Patron, vous devriez mettre fin à ses caprices. Une bonne fois pour toutes. »

Xavier n'a pas approuvé. Son regard s'est fait plus sombre : « Assez parlé. Démarre. »

Hector s'est tu et a bouclé sa ceinture. Voyant Xavier se masser les tempes, il n'a pas pu s'empêcher de murmurer : « Pourquoi Mlle Duval n'est-elle pas venue ? Elle insiste toujours pour vous suivre. »

C'était le week-end, pas de cours. D'habitude, elle s'accrochait à lui pour aller au bureau ou à sa résidence privée.

Les lèvres pincées, Xavier a laissé son regard effleurer l'entrée du manoir. Un calme inhabituel. Seuls des domestiques vaquaient à leurs occupations. Aucune trace de Sarah.

Déconcerté par ce changement soudain, il a froncé les sourcils et a ordonné : « Occupe-toi de conduire. »

Hector a haussé un sourcil et a mis le contact.

Manifestement, Xavier était en colère. La cause ? Sarah, sans aucun doute.

Adossé à son siège, les paupières closes, Xavier a repensé soudain à l'excuse que Sarah avait avancée.

Elle ne voulait pas le déranger dans son travail ?

Vraiment, il ne trouvait pas cette feinte retraite si ingénieuse que ça.

...

De retour dans leur chambre, Chantal étouffait de rage : « Pourquoi as-tu refusé ? Ne sais-tu pas qui Xavier va retrouver là-bas ? »

« Je le sais parfaitement », a répondu Sarah avec calme.

Sa mère a grondé entre ses dents : « Alors pourquoi ne pas les suivre ? Veux-tu les voir renouer sous tes yeux ? Tu risques de perdre ta place à ses côtés ! »

« Qu'importe. Ils sont consentants, pourquoi m'en mêler ? »

Chantal, sourde à ses arguments, l'a saisie par l'oreille en s'écriant : « Hors de question ! Je vais convaincre Thibaud de te laisser partir. Cette fois, tu m'obéiras ! »

Sarah l'a laissée poursuivre ses rêves insensés. Le temps se chargerait de la ramener à la réalité.

Indifférente, elle a sorti un cahier d'exercices du placard.

Dans sa vie antérieure, bien que protégée par les Colbert, elle avait étudié sans relâche pour se sentir digne de Xavier. Son seul regret : avoir manqué son bac à la suite d'un incident, puis renoncé aux études après les tragédies qui s'en étaient suivies.

Cette fois, elle saisirait sa chance. Elle choisirait une université lointaine, loin des Colbert, loin de Xavier, pour recommencer une vie nouvelle.

Sa haine passée demeurait bien sûr intacte. Un jour, ceux qui avaient nui à Ambre paieraient.

Elle a étudié jusqu'au soir.

Chantal a fait irruption, valise à la main, et a commencé à empiler des affaires.

Sarah lui a repris la valise, interloquée : « Qu'est-ce que tu fais ? »

Elle lui a fourché le front d'un doigt, le visage irradié par un sourire : « Thibaud a accepté que tu accompagnes Xavier ! Dépêche-toi de préparer tes bagages. Et cette fois, ne l'irrite plus comme aujourd'hui. »