Michel (flashback)
Il faisait chaud ce jour-là.
Pas une chaleur douce. Une chaleur lourde, collante. Une chape de plomb suspendue au-dessus de la campagne. Les cigales criaient plus fort que les voix. Même celles qui auraient dû hurler.
J’avais six ans.
Je tenais un camion rouge dans la main. L’autre main, je ne me souviens plus. Peut-être qu’elle tenait celle de ma mère. Peut-être rien du tout. Ce dont je me souviens, c’est du goût métallique dans ma gorge. D’un bruit sourd, après. Et de son corps qui tombait.
Ce n’est pas arrivé comme dans les films. Pas de dispute théâtrale. Pas de gestes précipités. Juste un silence. Un de ces silences qui précèdent l’orage.
David était là. Il en avait huit. Il me regardait souvent de haut, mais pas méchamment. Plutôt comme on regarde un truc bizarre, qui n’a pas encore de forme. Je ne savais pas qu’on partageait du sang. Pas encore. Je ne savais pas que les sangs pouvaient être mélangés, jetés sur le sol comme des seaux d’eau froide.
Son père était un colosse. Grand. Trop. Une voix de gravier et un regard de mur. Il parlait peu. Il buvait beaucoup. Mon père, lui, était tout le contraire : bavard, rieur, les bras toujours ouverts. Trop ouvert, peut-être. C’est comme ça qu’il avait ouvert les bras à la mauvaise femme.
La sienne.
Je ne comprenais pas, alors. Pourquoi les adultes criaient la nuit. Pourquoi Maman pleurait dans la salle de bain. Pourquoi mon père regardait parfois ailleurs, quand il nous embrassait. Il n’y avait pas de mots pour ça. Juste des silences, et les silences, moi, je les avalais.
Puis il y a eu cette après-midi-là.
David et moi jouions avec des bâtons en bois, dans le jardin. On se battait pour rire. Un rire nerveux, presque douloureux. Comme si on savait déjà que ça allait basculer.
Et c’est arrivé.
Un cri.
Un seul.
Un "Non !" guttural, animal, lancé depuis le salon.
Puis un bruit sec. Un éclat de verre.
Et après… ce silence. Encore.
Je me suis approché. Pas David. Il est resté figé. Je me rappelle de son visage. Figé. Comme sculpté dans la peur. Ou peut-être dans la colère. Ou dans les deux. Ses yeux cherchaient quelque chose. Peut-être la justice. Peut-être un témoin.
J’étais ce témoin.
Je suis entré. Je n’aurais pas dû.
Mon père était par terre.
Une traînée rouge dessinait un sentier sur le carrelage. Comme si son cœur avait fui avant lui. Et l’autre homme… le père de David… tenait une lampe brisée. Un pied de lampe. Il tremblait. Mais ses yeux, non. Ses yeux étaient d’un calme dément.
— Il voulait prendre ce qui m’appartient, il a dit.
Puis il s’est tourné vers moi.
Et il a dit :
— Tu comprends, gamin ? Il méritait pas de vivre. C’était un voleur.
Un voleur.
De femme. D’attention. D’amour.
Et moi ? Moi j’étais quoi ? Le fruit du vol ?
J’ai entendu des pas derrière. C’était Maman. Elle s’est figée, une main sur la bouche. David n’a pas bougé. Pas un muscle.
— Tu diras rien, Michel. D’accord ? a-t-il murmuré, accroupi devant moi.
Il puait la sueur, la haine, l’alcool.
Il m’a touché l’épaule. J’ai reculé.
— Tu dis rien. Tu veux pas que ta mère ait des ennuis, hein ?
C’était ça, le début.
Le début du silence. Le début du mensonge.
On a dit que Papa était tombé. Un accident. Une chute.
Maman n’a rien dit. Elle a baissé les yeux. Elle a dit oui. Et elle est restée. Avec lui. Avec ce meurtrier. Le père de David.
Et moi ?
Moi, j’ai grandi à côté du garçon qui portait son sang. Mon frère, sans l’être vraiment. Mon reflet déformé. Ma malédiction.
David ne savait rien. Pas au début. Pas avant ses quinze ans. Il a fouillé. Il a trouvé le rapport. Les vraies photos. Les vraies dates.
Et ce jour-là, il est venu me voir. Il m’a dit :
— Il a tué ton père. Et toi, t’as rien dit. T’as laissé faire.
Et il m’a craché dessus. Littéralement.
Il m’a traité de lâche.
Il avait raison.
Mais il ignorait l’autre vérité.
Celle que ma mère m’avait glissée un soir, entre deux verres, en pleurant :
— Il était ton père aussi, Michel. Tu crois que c’est pour rien qu’il t’a épargné ? Il le savait. Mais il ne voulait pas l’admettre. Alors il a effacé le problème. Mais toi… il t’a laissé. Tu étais sa punition vivante.
Je suis resté debout. Silencieux.
J’ai senti quelque chose se fissurer en moi.
David n’était pas mon frère.
Pas vraiment.
Il était mon demi-frère.
Et son père… c’était aussi le mien.
Le meurtrier et le géniteur.
Alors j’ai grandi avec ça.
Ce n’était pas juste une absence. C’était une présence viciée. Une ombre. Un poison. Quelque chose d’indescriptible qui pourrissait tout ce que je regardais.
Et David ?
Il est devenu ce que je ne pourrais jamais être : lumineux. Aimé. Complet.
Il avait tout. Et moi, j’étais resté avec la moitié d’un nom. La moitié d’un cœur.
Alors oui. J’ai tiré.
Pas parce qu’il riait.
Mais parce qu’il me renvoyait tout ce que je n’avais jamais été.
Et maintenant, Lucia me hait.
Mais elle ne sait pas.
Elle ne sait rien de ce que c’est…
…de grandir avec un cadavre pour père et un miroir pour frère.
LuciaLa lumière du matin filtre à travers les rideaux épais, dorant l’air de la chambre d’une douceur trompeuse. C’est une lumière de paix, presque irréelle, qui ne sait pas encore ce qui s’est passé dans cet espace fermé quelques heures plus tôt.Je me réveille dans le creux de son bras, ma joue contre son torse chaud, ma peau collée à la sienne. Il respire lentement, profondément, comme un homme qui dort sans crainte. Moi, je n’ose pas bouger, prise entre l’envie de rester là et celle de me soustraire à cette proximité.Sur mes lèvres, je sens encore ce goût de sel et de chaleur. Dans mon ventre, une langueur lourde, chaude, qui pulse doucement comme un souvenir trop vif.Je tente de m’écarter. Son bras se resserre.— Bonjour… murmure-t-il, la voix basse, presque rauque, comme si les mots étaient encore gonflés de sommeil et d’autre chose, plus dense.Je détourne les yeux.La gêne m’envahit d’un coup. Les images de la nuit s’imposent ma voix étranglée, mes gestes affolés, mes cris
LuciaIl descend lentement, bouche à bouche, souffle à souffle, avec cette précision presque déchirante d’un homme qui ne cherche plus à posséder mais à sonder, à inscrire dans ma chair des vérités plus anciennes que la mémoire, plus profondes que le nom et chaque frôlement de ses lèvres est une note longue, grave, enroulée autour de mes nerfs, une vibration qui me dilate de l’intérieur, me rend poreuse, disponible, prête.Il explore, il revient, il insiste, sans urgence, sans but, comme s’il me connaissait déjà mais voulait tout de même tout réapprendre, tout vérifier, tout retoucher, comme s’il avait besoin que mon corps lui confirme ce que ma bouche refuse encore de dire et à chaque passage de sa langue, c’est un pan entier de mon silence qui se fissure.Je retiens mon souffle, mais c’est inutile.Je suis ouverte , offerte , écartelée entre deux silences l’un d’avant, froid, de façade, et l’autre qui vient, chaud, intime, abyssal et je sais que je suis en train de basculer dans ce
LuciaLe matin s’est glissé sans bruit entre les persiennes.Une lumière pâle, presque timide, caresse les draps froissés, souillés, épars.Leur odeur flotte encore dans l’air, mélange de sueur, de peau, de foutre séché.Je sens tout. Trop.J’ouvre les yeux sur un monde trop réel.Trop nu. Trop silencieux.Et mon corps… mon corps résonne encore. Il vibre, douloureux et affamé, saturé de souvenirs qui ne sont pas encore devenus du passé.Mon souffle est chargé d’images.Ma peau, moite sous le tissu, conserve les empreintes de ses mains, la morsure de ses dents, l’empreinte de son sexe en moi.Mes cuisses sont lourdes, collées, encore ouvertes malgré la nuit.Et chaque repli de moi-même pulse lentement, comme si la nuit refusait de finir.Je suis nue. Encore.Nue sous les draps, nue dans ma tête, nue dans ma honte.Et lui…Michel est là.Allongé sur le flanc, appuyé sur un coude, me regardant avec cette même intensité tranquille, souveraine, presque insolente.Comme s’il attendait.Comm
LuciaJe ne dors pas.Ou peut-être que si. Juste assez pour sombrer à la lisière d’un rêve brûlant, un songe gorgé de sa peau, de sa voix, de ses reins qui cognent, infatigables, contre mon bassin.Juste assez pour que mes membres s’abandonnent et que mon esprit vacille encore dans l’écho de ses gestes, de ses mots, de sa bouche sur moi.Et pourtant, tout en moi vibre. Tout en moi est encore tendu, à vif, arqué vers lui.Le drap poisse entre mes cuisses, collé à ma peau humide, inondée de moiteur, de foutre, de sueur salée. Mon corps s’alanguit, mais mon ventre, lui, demeure habité, tendu, prêt.Mes seins sont sensibles, gonflés de désir. Mes tétons pointent sous le tissu froissé. Mon souffle est ralenti, mais mon cœur, lui, cogne.J’ai joui. Oui. Longtemps. Fort.Mais il reste quelque chose en moi d’insatisfait. Une attente, sourde, profonde, inaltérable.Comme une faim que rien ne peut vraiment combler.Et puis je le sens.Avant même qu’il ne parle.Un frémissement du matelas, la ch
LuciaJe flotte.Entre deux respirations, entre le souvenir et le réel, entre les cendres encore tièdes de la nuit et le feu brutal du matin qui revient. Mes paupières sont closes, mais mon ventre, lui, s’éveille sous une tension familière, une chaleur pressante, une fièvre carnée qui me fait déjà frissonner. Je ne bouge pas, je retiens mon souffle, mais je sens tout, je devine la position de son corps contre le mien, le drap repoussé, sa peau nue, son sexe durci contre mes fesses, son souffle rauque qui racle ma nuque comme un souffle de bête en chasse.Ses mains remontent lentement, comme dans un rêve répété mille fois, ses doigts effleurent le creux de mon genou, la pliure de ma cuisse, la ligne de ma hanche, et je tremble. Il ne parle pas, pas encore. Il me touche. Il m’effleure comme s’il me retrouvait, comme s’il avait passé des années à m’attendre. Puis sa bouche, brûlante, humide, se referme sur ma nuque, et je gémis, doucement, le dos cambré.— Mmh…Je veux parler, protester
ClaraIl ne dit rien, mais tout son corps parle, il me contemple comme une chose rare, comme une offrande arrachée au refus, et pourtant désirée, je vois dans ses yeux la morsure du doute et la certitude brute, je suis là, offerte, tendue, haletante, et je voudrais fuir, encore, mais mes bras l’enlacent— Tu dis non… mais tu restes, murmure-t-il, sa bouche si proche de mon oreille que je frémis— Lâche-moi…— Regarde-moi, LuciaJe ferme les yeux plus fort, je ne veux pas, je ne peux pas, mais ses mains glissent déjà le long de mes côtes, ses paumes chaudes effleurent mes flancs, mes seins, il m’explore avec lenteur, comme s’il voulait imprimer ma peau sous ses doigts, il me descend doucement vers le lit, et moi je ne résiste plusJe suis posée là, allongée, nue, écartée, la gorge sèche, les cuisses frémissantes, et lui me regarde encore, il reste debout un instant, à me contempler, le souffle court, les yeux noirs, et je vois le désir durcir son sexe sous le tissu, je le vois se défai