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Entre larmes et silences
Entre larmes et silences
Author: TCm

Chapitre 1 : La porte interdite

Author: TCm
last update Last Updated: 2025-06-30 03:52:06

Chapitre 1 – La porte interdite

Alba

Il pleut ce soir-là. Une pluie fine, régulière, presque douce. Le genre de pluie qui masque les sons, absorbe les cris, lave les traces. Elle ne frappe pas violemment le sol. Elle glisse, serpente, s’infiltre. Comme moi. Je serre les pans de ma cape contre moi, même si elle est déjà trempée jusqu’aux os. Le vent me mord la peau, mais je reste debout, immobile, face à l’imposant manoir Ferrelli.

Il se dresse devant moi comme une bête silencieuse. Immense, noir, figé dans une élégance glaciale. Les hautes tours se perdent dans le brouillard, les vitraux ne laissent filtrer aucune lumière. Il ne ressemble pas à une maison. Il ressemble à un avertissement. Et je suis sur le point de l’ignorer.

J’ai dix-neuf ans. Rien dans les poches, sauf une lettre d'engagement froissée et l'adresse écrite à l’encre noire. Aucun proche. Aucun refuge. Juste une décision prise dans la fièvre du désespoir.

Je frappe. Une fois. Deux fois.

Le bois est dur, ancien, presque vivant sous mes doigts. La porte reste close. Le temps semble suspendu. Puis, un déclic. Sec. Mécanique. Une lumière blafarde s’allume au-dessus de moi, m’aveugle un instant. Et il apparaît.

L’homme le plus grand que j’aie jamais vu.

Il porte une veste noire impeccablement ajustée, et ses épaules semblent taillées dans la pierre. Sa mâchoire est serrée. Ses yeux, sombres, impénétrables, me scannent sans émotion.

— Alba Varelli ? demande-t-il d’une voix basse, vibrante.

Je hoche la tête, presque trop vite.

Il s’écarte. Me fait signe d’entrer. Je le suis, tremblante, le cœur battant comme un tambour de guerre.

L’intérieur du manoir est un mausolée de silence et d’ombres. Aucun son, aucun éclat de vie. Le marbre noir réfléchit à peine la faible lumière des appliques. Les murs, eux, sont recouverts de tableaux aux regards fuyants, de visages oubliés qui me scrutent malgré eux.

Je retiens ma respiration à chaque pas.

— Suivez-moi, murmure-t-il sans se retourner.

Je le fais. Comme une enfant docile. Il m’entraîne à travers un enchevêtrement de couloirs, d’escaliers, de portes closes. Je tente de mémoriser le trajet, mais tout se ressemble. Tout semble vouloir m’égarer.

Il s’arrête enfin devant une petite pièce. Une chambre. Ou plutôt, une cellule. Un lit de fer, une armoire en bois sombre, un lavabo en porcelaine fêlée. Aucune fenêtre.

— Je suis Rael. Le chef de la sécurité, dit-il en me fixant.

Sa voix tranche le silence comme une lame.

— Vous êtes ici pour servir monsieur Ferrelli. Pas pour poser des questions. Pas pour fouiner. Et surtout… pas pour ouvrir certaines portes.

Mon souffle se bloque.

— Quelle porte ? je murmure.

Il ne répond pas. Il se contente de me regarder, longuement. Puis il tourne les talons et disparaît, me laissant seule, glacée par un frisson qui n’a rien à voir avec la pluie.

Je reste debout. Figée. Chaque fibre de mon corps me hurle de partir. Mais je suis ici maintenant. Il est trop tard pour reculer.

Le lendemain, tout commence.

Réveil à cinq heures. Lavage des sols, préparation des repas, lessive, vaisselle, silence. Obéir. Disparaître.

Les autres servantes m’évitent. Elles murmurent dans les coins, s’arrêtent de parler quand j’approche. Je vois la peur dans leurs yeux. Pas contre moi. Mais pour moi.

Et puis je le vois. Lui.

Luca Ferrelli.

Il descend l’escalier central, entouré de deux hommes armés. Il n’a rien d’un homme ordinaire. Il est l’incarnation du contrôle. Chaque geste est calculé, mesuré. Il n’a pas besoin de parler pour faire taire une pièce entière. Il commande sans dire un mot.

Il passe. Non. Il envahit l’espace. Il l’imprègne.

Nos regards se croisent.

Le temps se fige.

Un frisson glacé me traverse la nuque. Je suis incapable de bouger.

Ses yeux sont d’un gris tranchant. Comme le métal d’une lame affûtée. Il me scrute, intensément. Trop longtemps. Je baisse les yeux, gênée, brûlante de confusion.

Il s’approche. Chaque pas résonne en moi.

— C’est toi, la nouvelle ?

Je hoche la tête.

Il tend la main, attrape mon menton, le relève sans douceur. Mon cœur s’emballe.

— Ne baisse pas les yeux. Je n’aime pas les gens qui baissent les yeux.

Sa voix est calme. Presque douce. Mais chaque syllabe est une menace murmurée.

Il me relâche et s’éloigne. Comme si je n’étais qu’un objet à examiner. À attendre.

Les jours passent. Luca m’observe. Toujours à distance. Parfois de plus près. Il m’appelle sans raison. Me donne des tâches inutiles. Me frôle sans me toucher vraiment.

Et moi… je ressens ce tiraillement. Entre peur et fascination.

Rael, lui, ne cesse de veiller. Toujours là, tapi dans l’ombre. Il ne parle presque jamais. Mais ses regards en disent long. Il m’étudie. Me jauge. Comme s’il attendait que je comprenne. Ou que je tombe.

Une nuit, je me perds. Le manoir est un labyrinthe. Les couloirs semblent changer quand on ne les regarde pas.

Et je tombe sur elle.

La porte.

Noire. Lourde. Elle n’a rien d’une simple issue. Elle attire. Un courant d’air presque imperceptible glisse dessous, comme un soupir.

Je m’approche. Tends la main.

— Ne touche pas.

La voix me coupe net. Rael est là. Surgi du néant. Ses yeux brillent dans la pénombre.

— Cette porte… c’est...il est ... à...lui ? je souffle.

Il ne répond pas. Il avance. Lentement. Ses pas ne font aucun bruit. Il est tout près maintenant. Si près que je sens sa chaleur, son odeur. Il sent la pierre et le cuir. Et quelque chose de brûlant.

— Il t’a remarquée. C’est déjà trop.

— Trop pour quoi ?

Rael m’observe. Intensément. Il ne parle pas tout de suite. Quand il le fait, sa voix est rauque. Presque douloureuse.

— Cours, Alba. Tant que tu peux encore.

Mais je ne cours pas.

Parce qu’au fond de moi… une étincelle s’est allumée. Celle de la curiosité. De la désobéissance. De la faim.

Je referme la porte de ma chambre cette nuit-là avec un poids nouveau dans le cœur.

Je ne suis pas entrée dans une maison.

Je suis entrée dans une cage.

Et deux prédateurs rôdent autour de moi.

L’un me regarde comme un jeu.

L’autre, comme un avertissement.

Et moi… je suis là.

Entre les deux.

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