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Chapitre 5 :  L’homme qui ne fuit pas

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-07-14 05:16:05

 Jade 

Je n’arrive pas à bouger.

Et c’est peut-être ça, le plus terrifiant.

Je suis là, allongée contre lui, la joue collée à sa peau chaude, le cœur en vrac, les pensées en éclats. Ses mots se répètent dans ma tête, comme une boucle impossible à casser. Des mots lourds. Bruts. Tremblants. Il m’a confié son frère comme on confie une bombe.

Et pourtant, je ne fuis pas.

Je ne fuis pas.

Je sens la tension dans ses muscles sous ma joue, sa respiration qui hésite, suspendue. Il est figé, comme s’il attendait le verdict. Comme s’il se préparait à être abandonné.

Et Dieu sait que je devrais partir.

J’ai déjà fui pour moins que ça. Pour des silences trop longs. Pour des absences trop fréquentes. Pour des regards qui devenaient vides. J’ai quitté des hommes pour leur lâcheté. Leur égoïsme. Leur fadeur.

Mais lui…

Lui, il vient de me livrer le chaos. Entier , nu , incandescent. Et ce n’est pas la peur qui monte en moi. C’est autre chose.

Quelque chose de plus étrange. De plus intime. Une forme de vertige.

Je ne comprends pas.

Et pourtant je ressens. Intensément.

Je lève enfin la tête. Nos regards se croisent. Il ne se dérobe pas. Il ne ment pas. Il attend. Et ce que je lis dans ses yeux me bouleverse : pas de fierté. Pas d’assurance. Juste une douleur retenue, comme si toute sa vie tenait sur ce fil : ma réaction.

— Tu n’es pas lui.

Je le dis. Et je le pense. Même si tout me dit d’être prudente.

Parce qu’il y a dans ses silences quelque chose de différent. Quelque chose que je n’ai jamais vu chez aucun homme.

La lucidité.

— Tu sais ce qui est fou, Caleb ? Je devrais me lever. M’habiller. Disparaître. Me protéger. J’ai été élevée à ça : flairer les dangers et me tailler avant que ça n’explose. Et là… je n’en ai pas envie.

Il fronce les sourcils. Perplexe. Méfiant même. Comme s’il n’y croyait pas.

Et moi, je ne sais pas si je suis en train de faire une erreur ou d’ouvrir une porte que j’aurais dû laisser fermée. Mais je reste.

Je passe une main dans mes cheveux. J’essaie de retrouver de l’air. De l’équilibre. Je suis engluée dans un mélange d’émotions contradictoires : peur, attraction, compassion, désir.

Et cette conscience aiguë d’être en train de choisir.

— Est-ce que tu te rends compte de ce que tu viens de me dire ? De ce que tu vis avec ? Tu portes ton frère comme un fantôme. Tu respires à moitié pour ne pas l’éveiller. Et malgré ça, tu vis. Tu bosses. Tu fais semblant d’être normal.

Je marque une pause.

— Et tu réussis presque.

Il vacille. Son visage, si dur d’habitude, se fissure.

— Tu m’as tout balancé, là, comme une bombe. Et pourtant… j’ai juste envie de te prendre dans mes bras.

Je ne le laisse pas répondre. Je m’approche. Je glisse mes bras autour de lui, sans gêne, sans pudeur, comme si j’avais le droit. Comme si ça allait suffire. Je le serre. Fort. Parce que c’est la seule chose que je peux offrir là, maintenant.

Et il me laisse faire.

Je le sens se raidir d’abord, puis se relâcher, centimètre par centimètre, comme si mon contact le dégelait de l’intérieur. Comme si ça faisait des années qu’on ne l’avait pas touché sans rien exiger de lui.

Il murmure, la voix fendue :

— Je vais t’emmener dans ma chute.

Je lève la tête. Je pourrais sourire. Mais je suis trop consciente de la gravité de ce qu’il dit.

— Peut-être que je ne suis pas venue pour rester en haut.

Et c’est vrai. Peut-être que je n’ai jamais voulu d’un bonheur sage. Peut-être que j’ai toujours cherché quelque chose d’incontrôlable. De vrai. De risqué.

Ses yeux se ferment. Les miens aussi.

Et quand nos lèvres se retrouvent, c’est lent. Profond. Douloureux presque.

Un baiser comme une faille.

Un baiser qui murmure : je vois qui tu es, et je reste quand même.

Quand je me détache, je reste contre lui. Je sens son cœur battre fort, rapide. Le mien aussi.

Ma voix n’est qu’un souffle.

— Ton frère… est-ce qu’il sait pour moi ?

Un silence.

Puis :

— Probablement. Elian sait toujours.

Une goutte froide descend le long de ma nuque. Je la sens, cette présence. Lointaine. Mais réelle. Comme une silhouette dans le brouillard. Invisible, mais là.

— Et toi ? Tu as peur qu’il me touche ?

Il hoche la tête.

— Oui. Il est curieux. Il observe. Il sent les failles. Il appuie dessus jusqu’à ce qu’elles s’ouvrent. Il ne tue pas physiquement. Il fait pire. Il désintègre.

Je frissonne.

Mais pas de peur.

De lucidité.

— Caleb… dis-moi. Est-ce qu’il a déjà volé une femme que tu aimais ?

Sa mâchoire se contracte.

Et là, je le vois. Le vrai fantôme. L’autre , celle d’avant.

— Une seule.

Il hésite. Puis lâche :

— Il ne me l’a pas volée. Il l’a brisée. Lentement. Il a vu ce qu’elle représentait pour moi. Il a appuyé là, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle n’existe plus. Et quand j’ai voulu la sauver, il m’a dit : Tu vois ? L’amour, c’est une illusion. C’est ton point faible.

Je ferme les yeux.

Et soudain, je comprends.

Tout.

Pourquoi il fuit.

Pourquoi il couche mais ne s’attache pas.

Pourquoi il a peur de moi, maintenant que j’ai franchi une ligne.

— Est-ce que je risque de finir comme elle ?

Il ne répond pas.

Et ce silence… me fend en deux.

Mais je reste.

Encore.

Je ne suis pas inconsciente.

Je ne suis pas naïve.

Mais je suis fatiguée de fuir. De n’aimer que des hommes faciles. Lisses. Prévisibles. Des amants sans tragédie. Sans profondeur.

Et voilà que je tombe sur un homme brisé en deux. Tordu par un frère trop présent. Écartelé entre le bien qu’il cherche et le mal qui le poursuit.

Et je veux comprendre.

Même si ça me brûle.

Même si ça me détruit.

Parce qu’au fond, ce n’est pas Elian que je regarde.

C’est lui.

Caleb.

Et il ne m’a pas promis de me sauver.

Mais il ne m’a pas menti.

Et dans ce monde-là, c’est déjà beaucoup.

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