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Chapitre 4 – Ce que je suis

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-05-15 07:21:03

Lucien

L’aube est une morsure.

Elle ne se contente plus de me frôler : elle me ronge. Chaque seconde, chaque parcelle de lumière s’insinue à travers les fentes du bois comme une traque silencieuse, une brûlure invisible qui m’arrache à moi-même. Même ici, dissimulé dans cette cabane que j’ai bâtie de mes propres mains, refuge précaire fait de peaux et d’ombre, elle me trouve. Elle me rappelle ce que je suis devenu.

Une ruine.

Un vestige.

Un monstre.

Et pourtant, ce matin, je ne bouge pas. Je l’attends.

Isabella 

Je connais son prénom maintenant. Pas parce qu’elle me l’a donné. Mais parce qu’il est imprimé en elle. Dans la manière qu’a son souffle de se suspendre au bord d’un soupir. Dans la chaleur de son sang, sa façon de serrer les dents quand elle pense que je ne regarde pas. Ce nom flotte autour d’elle comme un parfum oublié. Il est elle. Sauvage. Résiliente. Indomptable.

Je l’ai vue venir bien avant qu’elle n’arrive.

L’écho de ses pas dans la neige. Son odeur, mélange de cendre, de résine et de vent. Cette odeur me hante. Elle m’obsède.

Elle entre sans frapper.

Et c’est comme si le monde retenait son souffle.

Même le vent s'arrête, suspendu à sa silhouette. Les peaux suspendues aux murs frémissent légèrement dans son sillage. Elle est là, debout, silhouette acérée dans la pénombre, son souffle visible dans l'air froid.

Ses joues rougies par le froid, sa peau tendue par la morsure du dehors. Ses cheveux en bataille, tressés à la hâte, laissant échapper quelques mèches noires collées à ses tempes. Une peau de renard glisse de ses épaules alors qu’elle avance. Elle ne parle pas. Elle n’a pas besoin de mots.

Sa simple présence est une déclaration.

Elle s’agenouille devant moi. Pas comme une supplique. Pas comme une offrande. Plutôt comme une femme qui a décidé de s’asseoir face à sa peur et de la regarder en face.

Ses mains ne tremblent pas. Pas aujourd’hui.

Elles glissent sur ma peau, frôlent les croûtes de sang séché, s’aventurent sur les marques anciennes, les brûlures d’un autre temps. Elle effleure sans demander. Elle touche comme si chaque cicatrice racontait une histoire qu’elle est venue apprendre.

— Tu es brûlant, souffle-t-elle.

Je ris. Un râle plus qu’un son. Une chose rauque, étrangère, sortie du plus profond de mes entrailles.

— Pour un cadavre, je suis étonnamment vivant, non ?

Elle détourne à peine le regard, esquisse un sourire qui me lacère plus sûrement qu’une lame.

Je devrais la chasser. La repousser. Je suis une bête traquée. Un être de sang et de ruine. Mais il y a en elle une lumière plus dangereuse que toutes les torches de mes anciens chasseurs.

Elle ne me regarde pas comme un monstre.

Elle me regarde comme un homme.

Et c’est ce qui me terrifie le plus.

Ses doigts effleurent les lignes de mes flancs, redessinent les veines proéminentes de mes bras, explorent la tension contenue dans mes muscles. Chaque caresse me consume un peu plus. Je pourrais bondir. Je pourrais mordre. Je pourrais la prendre maintenant et l’entraîner dans mes ténèbres.

Mais elle ne cède pas. Elle ne recule pas.

Elle me tient tête sans le dire.

Je sens mon désir croître, obscène, ancien. Il me ronge de l’intérieur. Mais ce n’est pas seulement le sang que je veux.

C’est elle.

Entière. Vivante. Sauvage.

Je tends la main. La pose contre sa joue. Sa peau est si tiède que j’en frémis. Comme un damné caressant la flamme. Elle ferme les yeux, s’abandonne sans faiblir.

— Tu ne devrais pas être ici, Éliane.

Ses paupières s’ouvrent lentement.

— Je suis exactement là où je dois être.

Elle croit ce qu’elle dit. Ça me tue. Car moi, je n’y crois plus à ces choses-là.

Elle m’étudie comme une énigme. Comme si j’étais un vestige d’un monde qu’elle cherche à comprendre. Comme si ma douleur faisait écho à la sienne. Comme si, au fond, elle était aussi abîmée que moi.

— Dis-moi ce que tu es, murmure-t-elle.

Je respire. Lentement. J’inspire sa fragrance cette odeur si particulière, entre la pluie et la braise et je sens mon cœur s’agiter dans sa prison de pierre.

— Tu veux la vérité ?

— Oui.

Alors je la lui donne. Cruelle. Nue. Indiscutable.

— Je suis une créature morte depuis plus de quatre cents ans. J’ai trahi mes frères pour sauver un village qui n’existe plus. J’ai aimé une femme que j’ai vidée de son sang. J’ai vu mes ennemis brûler. J’ai vu mes amis tomber. Je suis une erreur. Un fauve. Un souvenir. Et si tu restes près de moi, je te consumerai.

Je m’attends à la voir frémir. Trembler. Fuir.

Mais elle ne bouge pas.

Elle reste. Immobile. Forte.

Et puis elle dit, d’une voix douce mais indestructible :

— Peut-être que je suis aussi brisée que toi.

Mon souffle se brise.

Je ferme les yeux.

Je sens son front contre le mien. Je sens la chaleur de sa peau, la douceur de ses lèvres effleurant à peine mon menton. Elle ne m’offre pas son cou. Pas encore. Elle m’offre bien plus que cela.

Elle m’offre sa présence.

Je glisse mes bras autour d’elle. Mes mains s’ancrent à sa taille. Son odeur me monte au crâne comme une drogue. Elle est vivante. Elle pulse. Elle brûle contre moi.

Et je tiens.

Je tiens bon alors que chaque fibre de mon être hurle de la dévorer.

Elle pousse un gémissement à peine audible. Une note pure, aiguë, qui s’imprime dans ma mémoire comme un sceau.

Je pourrais l’embrasser. L’enchaîner. L’aimer.

Je pourrais la mordre. Briser la frontière entre nos mondes.

Mais je ne le fais pas.

Parce que pour la première fois depuis des siècles, ce n’est pas la soif qui me guide.

C’est elle.

C’est Isabella .

Et ça… c’est plus dangereux que tout le reste.

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