MaëlysQuand je sors du café, le vent me gifle.Mais je souris.Ce n’est pas un sourire de victoire.C’est un sourire de commencement.C’est le goût des ruines.Celles que je laisse derrière moi.Celles sur lesquelles je vais bâtir.J’inspire. Profondément.L’air est froid, coupant, libre.Je prends la main d’Aleksandr.Il ne dit rien. Il sait.Il n’y a rien à dire.Ce n’est que le début.Demain, on attaque les fondations du système.On le fissure. On l’éclate. On le redéfinit.Mais aujourd’hui…Aujourd’hui, j’ai repris mon nom.Et personne ne me le reprendra.Je ne dors pas la nuit suivante.Je veille.Pas comme une amante. Pas comme une femme amoureuse.Je veille comme on monte la garde avant un assaut.Comme une bête qui sent le sang, et qui attend la prochaine morsure.Aleksandr ne pose pas de questions.Il me regarde écrire, assembler, trier les preuves, classer les dossiers.Il me tend du café. Il me couvre d’un plaid. Il me laisse faire.Il sait que je suis en train de devenir
MaëlysLe matin n’a pas encore percé quand je me lève.Il fait encore nuit, mais ce n’est pas le noir qui m’aveugle. C’est la clarté d’une décision.Je me glisse hors du lit comme on quitte un sanctuaire, à pas feutrés, le souffle suspendu.Aleksandr dort. Paisible, enfin. Ses doigts cherchent encore ma peau dans son sommeil, comme s’ils refusaient de me laisser partir. Comme s’ils savaient que ce matin, je ne suis plus la même.Mais je ne me retourne pas.Je ne veux pas être tentée. Pas attendrie. Pas arrêtée.Je ne suis plus dans le lit d’un homme.Je suis dans l’arrière-salle d’un empire qu’on veut me voler.Et je n’ai plus le luxe de la tendresse.Je traverse la pièce. Les pieds nus sur le parquet glacé me rappellent que je suis vivante.Je m’arrête devant le miroir.Je me regarde.Longtemps.Mon corps porte encore la trace de ses mains.Mes lèvres sont gonflées, mes cuisses marquées, mes poignets rouges là où il m’a tenue.Mais ce n’est pas ça que je vois.Ce que je vois, c’est u
MaëlysLa nuit a basculé dans quelque chose d’étrange.Pas du rêve.Pas du cauchemar.Autre chose. Un entre-deux où je me redécouvre. Où je réapprends à respirer. À désirer. À reprendre ce qui m’a été volé.Ses mains sont là. Présentes. Douces.Mais ce n’est pas sa douceur qui me bouleverse. C’est l’attention.Aleksandr me touche comme on lit une prière gravée dans la pierre. Lentement. Profondément. Comme si chaque parcelle de moi méritait qu’on s’y attarde. Comme si mes silences étaient des trésors. Comme si ma peau parlait une langue qu’il avait attendu toute sa vie de comprendre.Je suis nue sous lui.Mais je ne suis pas vulnérable.Je suis puissante. Ancrée. Ancrée en moi. En lui. En ce lit qui ne nous contient plus vraiment.— Regarde-moi, je souffle.Il obéit. Ses yeux plongent dans les miens. Là où les autres auraient fui. Là où mon corps aurait pu n’être qu’un fardeau, un champ de bataille, il voit une souveraine.Il voit moi.Et je me tends vers lui.Non pas pour qu’il me pr
MaëlysLe matin s'étire dans un calme étrange.Je devrais être vidée, brisée peut-être. Mais je suis habitée. D’une force nouvelle. D’un silence incandescent qui ne demande plus la permission de brûler.Aleksandr dort encore. Son bras autour de ma taille. Son souffle contre ma nuque.Il m’a aimée cette nuit comme on marche sur un fil tendu au-dessus du vide. Sans me forcer. Sans me sauver. Juste là. Présent. Vrai.Et moi, j’ai pris. J’ai tout pris.Pas parce que j’étais perdue. Mais parce que j’étais de retour.Je me lève sans bruit. Traverse la chambre. Mon corps me fait mal un mal familier, doux-amer, celui des cicatrices qu’on ne regrette pas.Sous la douche, l’eau est tiède. Elle glisse sur ma peau sans laver quoi que ce soit. Il n’y a plus rien à effacer. Je suis propre. Je suis debout. Je suis vivante.Je me regarde dans le miroir. Longtemps.Il y a des cernes. Des marques. Un éclat étrange dans le regard. Mais il y a surtout cette certitude implacable qui me redresse de l’intér
MaëlysLe jour se lève, mais je ne le vois pas.Je le sens.Je le ressens dans mes os. Dans mes cils brûlants. Dans mes entrailles contractées.Une lumière pâle s’infiltre sous les rideaux, timide, comme si elle n’osait pas troubler le calme qui règne ici. Un calme trompeur. Suspendu. Prêt à éclater à la moindre vibration.C’est le silence après l’ouragan. Le souffle retenu avant la réplique.Je suis debout. Nue.Ma peau est un territoire marqué. Mais mon dos est droit.Je ne tremble plus.Sous la douche, j’ai frotté. Longtemps. J’ai lavé la sueur, la peur, la mémoire. J’ai jeté les vêtements qu’il avait touchés. Je les ai regardés tomber dans la poubelle comme des lambeaux de ma propre histoire.Mais rien ne me salit plus. Rien que le souvenir.Quand Aleksandr entre, sans frapper, un plateau entre les mains, je le sens avant de le voir. Son pas est lent. Précis.Il porte le café. Des fruits. Du pain grillé.Un geste simple. Tendre. Presque banal.Et pourtant…Il me traite comme une r
AleksandrJe l’ai installée dans le canapé. J’ai écarté les gens, verrouillé les portes, tiré les rideaux comme on ferme un théâtre après la dernière représentation. J’ai effacé le monde pour elle. Rien ne doit lui rappeler ce qu’elle vient d’endurer. Rien ne doit toucher à ce qu’elle reconquiert : sa liberté.Maëlys ne dit rien.Elle reste là, immobile, une couverture autour de ses épaules, le regard fixé sur un point que je ne vois pas. Un gouffre, peut-être. Un souvenir qu’elle ne veut pas affronter. Elle ne pleure pas. Ne tremble pas. Mais chaque fibre de son corps vibre d’un chaos contenu. Elle est un volcan figé, et je ne suis qu’un homme en équilibre sur sa lave.Je ne la touche pas. Pas encore.Elle a besoin d’espace. D’air. De silence. De se sentir à nouveau maîtresse de ce qui l’entoure.Alors je reste. Je m’assois là, à portée de souffle, à la distance exacte où elle pourrait m’atteindre si elle en ressentait le besoin.Et elle finit par bouger.Elle tourne la tête. Son reg
MaëlysJe le regarde.Je pensais être prête. Vraiment. J’avais répété cette scène des dizaines de fois dans ma tête : les mots, les gestes, les silences. J’avais tout imaginé. Le lieu. L’odeur du cuir et de la poussière. Même la lumière blafarde d’un plafonnier tremblant. J'avais préparé mes armes : ma voix, mon calme, ma vérité.Mais la réalité... elle a ce goût métallique de peur rentrée. Ce tremblement dans mes côtes que je croyais mort. Et lui, devant moi, comme sorti d’un cauchemar jamais vraiment quitté.Il est là.Vêtu d’un costume beige trop lisse, trop net, comme s’il se croyait encore au sommet d’un empire invisible. Le même sourire. La même mâchoire. La même posture. Rien n’a changé. Sauf moi.— Tu as changé, Maëlys.Sa voix me frappe plus que son regard.Elle n’a pas vieilli. Elle a cette texture faussement chaleureuse, comme un brasier caché sous la neige. C’est une voix qui a endormi des foules, apaisé des peurs, justifié des crimes. Une voix faite pour mentir.Je serre
MaëlysJe suis seule. Je sais qu’Aleksandr est là, quelque part dans l’ombre, surveillant, prêt à intervenir, à agir. Mais ce n’est plus lui qui guide mes pas. C’est moi. C’est l’appel de la vérité, celle que j’ai longtemps ignorée, que j’ai refusée de regarder dans les yeux, celle qui se cache derrière chaque nom, chaque souvenir, chaque souffle d’air que j’ai pris depuis que j’ai croisé la route de ce monde.Il y a des moments où le destin ne nous attend pas. Il se précipite, brusque, inattendu, et nous entraîne sans qu’on puisse l’arrêter. Ce moment est arrivé. Il est là, tout près, à portée de ma main. L’adversaire, celui qui m’a modelée et brisée, celui qui a marqué ma peau et mon âme bien avant qu’Aleksandr n’entre dans ma vie, est là. Je le sens. Il est plus proche que jamais.— Maëlys.La voix d’Aleksandr est basse, rassurante, mais je l’entends, je sens son désaveu dans chaque syllabe. Il sait que je vais partir. Il sait que j’irai jusqu’au bout, que je ne cesserai de pousser
MaëlysJe reste debout. Mon souffle cogne contre mes côtes. Mes paumes tremblent, ouvertes dans le vide.Mais je ne recule pas.Je la regarde s’éloigner, emmenée par Gabriel et deux autres hommes. Ses cris s’étouffent dans les échos de la nuit, engloutis par les murs, les grilles, l’asphalte trempé.C’est fini.Mais ce n’est pas terminé.Aleksandr reste près de moi. Il ne parle pas. Il m’observe, comme s’il lisait à l’intérieur de mes fractures.Et je sens que ce silence, cette tension, est plus lourde que les balles qui ont sifflé dans l’air.Alors je parle.— Dis-moi que tu savais. Dis-moi que depuis le début, tu savais ce qu’elle avait fait.Il ne ment pas. Jamais. Même quand la vérité est insoutenable.— Je savais qu’elle était dangereuse. Mais pas jusqu’où elle irait. Pas ce qu’elle t’avait volé.Je baisse les yeux.Ce n’est pas elle qui m’a volée. C’est moi qui me suis offerte. Volontairement. Naïvement. Par fierté ou par fatigue, je ne sais plus.Je marche vers le mur, pose ma