LOGINMe voilà encore étendue dans mon lit, enveloppée dans mes draps, les paupières lourdes de sommeil. Le soleil rayonne à travers les rideaux, dessinant des formes dorées sur les murs de ma chambre. Une douce chaleur s’installe lentement, comme une caresse matinale. J’entends les oiseaux chanter dans la cour, tout près de ma fenêtre. Leur mélodie légère me berce, me rappelle que c’est dimanche… et que je peux enfin prendre le temps.
Quel réveil relaxant. Pas de cours, pas d’obligations. Juste moi, mon cocon, et le silence du matin. Aujourd’hui, j’ai envie de me détendre. Après le déjeuner, je vais planifier une journée d’art plastique à la maison. J’ai besoin de me reconnecter à mon monde intérieur, à mes couleurs, à mes pinceaux. Ça fait si longtemps que je n’ai pas pris le temps de barioler une toile, de laisser mon imagination s’exprimer librement. Je suis de nature artistique, mais ces derniers mois, entre le déménagement, les études et les souvenirs qui me hantent, j’ai mis cette partie de moi en veille. Une fois mes céréales avalées et la vaisselle terminée, je me dirige vers la salle de bain. J’ai envie d’un bain long, chaud, enveloppant. J’ajoute un peu de bain moussant à la lavande et à la vanille. L’odeur emplit la pièce, douce et sucrée. Humm… Ça sent bon, ça sent le calme, ça sent le réconfort. Je m’étends dans l’eau chaude, les yeux mi-clos, le corps détendu. Les bulles éclatent doucement à la surface. Je laisse mes pensées vagabonder. Et voilà que Sofia revient dans mon esprit. La soirée de vendredi dernier, ses invités, ses questions… et surtout, ce baiser. Pourquoi m’a-t-elle invitée ? Pourquoi m’a-t-elle embrassée ? Était-ce un geste spontané, ou cachait-il quelque chose de plus profond ? Je n’arrête pas d’y penser. Ce baiser… doux, inattendu, presque irréel. Le parfum de sa peau, sucré comme les fruits du verger. Je peux encore sentir ses lèvres sur les miennes, comme une empreinte invisible. Je m’imagine son corps contre le mien, étendu sur le canapé. Sa peau frôlant la mienne, ses cheveux glissant sur mes épaules. Je l’enlacerais, la caresserais avec tendresse. Je l’embrasserais encore et encore, chaque partie de son corps, avec douceur et soif. Jusqu’à sentir son fruit du verger, et le savourer miette par miette. J’imagine ses gémissements de plaisir, ses soupirs dans mes oreilles. Oh Sofia… comme je te ferais lamenter toute la nuit, jusqu’à l’aube. Ces pensées me font frissonner. Mon cœur bat plus vite. L’eau commence à refroidir. Il est temps de sortir du bain. Je me rends dans ma salle de détente, une pièce que j’ai aménagée pour créer, rêvé, respiré. En regardant autour, je remarque que plusieurs boîtes sont encore en désordre. J’ai oublié de faire le tri depuis mon arrivée. Entre les études, les émotions et l’examen qui approche, le temps m’a filé entre les doigts. Derrière la porte de la penderie, je retrouve mon tableau de peinture, blotti contre le mur. Juste à côté, mes articles d’aquarelle, mes carnets de croquis, mes crayons et mes pinceaux. Je décide de fouiller un peu pour retrouver mon assortiment de gouaches et de couleurs. En fouillant les boîtes de fond en comble, je tombe sur une surprise inattendue : plusieurs albums de photos, soigneusement rangés. Il y a même des clichés de maman et papa. Émue, je m’assois quelques instants pour les contempler. Je me demande comment ces photos ont pu se retrouver ici. Je n’ai aucun souvenir de les avoir vues auparavant. Peut-être que Stella les a glissées dans mes boîtes lors du déménagement, sans me le dire. Elle voulait sûrement que j’emporte un souvenir d’eux, sachant que je m’éloignais de la grande ville. Elle a même pensé à inclure des photos de nous, enfants. Je souris en voyant mon visage avec mes petites couettes, que maman m’avait soigneusement coiffées le jour de la photo scolaire, à la maternelle. Je me souviens de ce jour-là. Le photographe essayait de me faire rire avec ses grimaces et ses blagues. Je me rappelle aussi avoir été aveuglée par les gros flashs qui illuminaient la salle. Page après page, je scrute chaque détail. Et là… sur une vieille photo en noir et blanc, légèrement égratignée, j’aperçois un visage familier. Une jeune femme, assise dans la pelouse, le regard tourné vers les fleurs. Ce sourire… c’est celui de maman. Si doux, si lumineux. Le soleil éclaire ses yeux pâles. Elle semble paisible, presque rêveuse. Jamais je n’aurais cru revoir ce sourire un jour. Mon cœur se serre, mais je suis heureuse de pouvoir contempler ces images. Un peu plus loin, j’aperçois papa. Grand, élégant, vêtu d’un complet blanc, appuyé contre le mur d’une scène de spectacle. Il sourit fièrement. C’était le jour de leur mariage, à la réception. Les murs et les tables sont décorés d’enjolivures. Il semble si heureux. En y repensant, cela aurait fait 35 ans de mariage l’été prochain. J’aurais tant aimé leur organiser une réception surprise. Un repas chez le traiteur, un grand buffet royal, des nappes scintillantes, des chandelles flottantes au centre des tables… Et un énorme gâteau d’anniversaire pour célébrer leur union. Ça aurait été une belle occasion de se retrouver en famille, de profiter de chaque instant. Mais je me dis que mes pensées suffisent à rassembler ces moments de joie. Quand je pense à eux, je sais qu’ils veillent sur nous, là-haut. Et qu’ils sont fiers. Je reste là, assise au milieu de mes souvenirs, le cœur un peu serré mais rempli de gratitude. Ces photos sont comme des fragments de lumière, des morceaux d’amour figés dans le temps. Bon… il serait temps de commencer à peindre. Après tout, c’était bien mon intention aujourd’hui, non ? J’ai passé trop de temps à scruter les albums photos — il est déjà l’après-midi. Je me demande ce que je vais bien pouvoir reproduire sur cette toile. D’habitude, mon imagination déborde… mais là, j’ai l’impression que mes idées se sont envolées avec les souvenirs. — Oh oui ! Ça y est, j’ai trouvé ! Je vais peindre maman. Je vais reproduire cette photo sur ma grande toile, et l’installer au-dessus du foyer, dans le salon. Plus tard, je ferai la même chose pour papa. Comme ça, je pourrai les admirer chaque jour. Ce sera un décor magnifique, un hommage à leur mémoire. Un petit sanctuaire de tendresse, au cœur de ma maison.Le vent souffle plus fort aujourd’hui. Corine le sent dans les murs, dans les branches, dans sa peau. Elle peint moins. Elle observe plus. Les spirales s’accumulent, mais quelque chose en elle résiste à les nommer. Elle ne veut pas les figer. Elle veut les laisser ouvertes. Sur la plateforme du laboratoire de création, les réponses continuent d’arriver. Des fragments. Des gestes. Des voix. Elle les lit comme on lit des lettres venues d’un autre temps. Un étudiant en arts visuels lui écrit : J’ai vu ta vidéo. Je ne sais pas pourquoi, mais cette phrase — “là où le vent ne dort jamais” — me fait penser à un temple que j’ai visité avec mon père, près de Nara. Il y avait une pierre gravée d’une spirale, très ancienne. Le guide disait que c’était un symbole de passage. D’écoute. D’oubli. Corine relit le message plusieurs fois. Elle note le nom du temple. Elle cherche des images. Elle trouve une photo floue, prise par un touriste. Une spirale. Identique. Elle pense au pendentif. Ell
Le site est difficile d’accès. Une route de terre, bordée de pins tordus, mène à une clairière oubliée. Le vent souffle sans relâche, comme s’il gardait le lieu vivant. Corine marche lentement, les chaussures couvertes de poussière, le carnet de son père dans la poche. Elle ne sait pas ce qu’elle cherche. Mais elle sait qu’elle doit venir. Les ruines sont là. Un cercle de pierres, des fragments de stèles, des gravures à demi effacées. Elle s’approche d’un bloc fendu, couvert de mousse. Une spirale, à peine visible. Elle pose la main dessus. Le froid de la pierre traverse sa paume comme une mémoire. Elle s’assoit sur un muret effondré. Le vent passe dans ses cheveux, soulève les pages de son carnet. Elle écrit : “Ce lieu ne parle pas. Il murmure. Et je dois apprendre à écouter.” Elle reste là longtemps. Elle ne prend pas de photo. Elle ne cherche pas à documenter. Elle cherche à ressentir. Le soir, de retour à l’atelier, elle peint. Des spirales. Des dizaines. Sur papier, su
Le matin est clair. Le vent glisse sur les collines japonaises avec une douceur inattendue. Corine s’installe dans son nouvel atelier, une pièce blanche aux murs nus, ouverte sur un jardin où les arbres penchent comme s’ils écoutaient. Elle ne peint pas encore. Elle observe. Elle attend. Sur la table, le pendentif repose à côté du carnet de son père. Elle le regarde chaque jour, sans le toucher. La spirale gravée, les initiales J.M., le métal vieilli — tout semble chargé d’un sens qu’elle n’a pas encore trouvé. Un après-midi, elle visite un petit musée local, discret, presque vide. Une salle est consacrée aux stèles anciennes, retrouvées dans les montagnes voisines. Des pierres dressées, brisées, gravées de symboles oubliés. Elle s’arrête devant l’une d’elles. Une spirale. Identique. Elle lit la plaque : “Motif rituel. Origine inconnue. Site non répertorié. Vent permanent.” Son cœur se serre. Elle pense au carnet de son père. À la même annotation. À la même spirale.
. Le matin du départ est silencieux. Porto dort encore sous un ciel pâle, et l’atelier respire dans son désordre familier. Corine ferme sa valise lentement, comme si chaque geste devait être pesé, mesuré, respecté. Elle ne sait pas ce qu’elle emporte exactement. Mais elle sait que ce qu’elle laisse derrière est vivant. Le pendentif repose dans sa paume. Elle le regarde une dernière fois avant de le glisser dans la poche intérieure de son manteau. La spirale gravée, les initiales J.M., le poids discret du métal — tout semble chargé d’une mémoire qu’elle n’a pas encore déchiffrée. Elle pense au saule dans sa cour. À ses bras souples qui ondulent même quand l’air semble figé. Son père disait souvent que cet arbre avait une mémoire. Qu’il ne bougeait pas pour le vent, mais pour ce qu’il avait entendu autrefois. Mais aujourd’hui, elle se demande si certains arbres savent écouter ce que les vivants oublient. Elle n’avait jamais compris. Mais maintenant, elle se demande si le ven
La ville semble hésiter entre deux saisons. Le ciel est gris, mais la lumière est douce. Les rues sont calmes, presque vides, comme si Porto retenait son souffle. Corine marche lentement, les mains dans les poches, le regard flottant. Elle ne cherche pas à avancer. Elle cherche à s’imprégner. Depuis le message d’Inès, la proposition du Japon s’est installée en elle comme une tension discrète. Elle n’a pas encore répondu. Elle attend. Elle laisse l’idée mûrir, comme une graine qu’on ne force pas à germer. Elle imagine le départ. Elle imagine l’atelier là-bas, la mer, le silence. Elle imagine ce qu’elle pourrait devenir, loin de tout repère. Le projet du collège continue. Elle échange avec d’autres étudiants, elle envoie des fragments, elle reçoit des échos. Elle travaille chaque matin dans son coin dédié, entre les carnets, les tissus, les lettres. Elle brode des phrases, elle découpe des souvenirs. Elle ne cherche pas à faire beau. Elle cherche à faire juste. Ce jour-là, elle d
Les jours glissent sur Porto comme des feuilles humides. Janvier s’épaissit, sans éclat, sans drame. Le ciel reste bas, les façades s’effacent dans une brume légère, et les trottoirs brillent sous les lampadaires comme des souvenirs qui refusent de sécher. Corine marche souvent seule, le regard flottant, les mains dans les poches. Elle ne cherche pas à avancer. Elle cherche à habiter. L’atelier est devenu un lieu poreux. Les murs semblent respirer avec elle. Les toiles s’accumulent, inachevées, fragmentées. Elle ne les termine pas. Elle les laisse ouvertes, comme des phrases suspendues. Elle travaille chaque matin sur le projet du collège, avec une régularité nouvelle. Le thème — Créer depuis l’absence — continue de se déployer en elle, comme une carte qu’elle découvre lentement. Elle échange avec d’autres étudiants. Des voix venues de Berlin, de Dakar, de Buenos Aires. Des récits d’exil, de deuil, de silence. Elle lit, elle répond, elle tisse. Elle ne se sent pas seule. Elle se