LOGINÉlodie
La soirée est une épreuve exquise. Je parle, je ris, je porte mon verre à mes lèvres. Mais toute ma conscience est ancrée sur lui. Sur ses mains. Ces mains-là, larges, aux doigts longs, qui ont tourné mon corps contre un mur dans mon sommeil. Je les regarde manier le tire-bouchon, verser le vin. J’imagine leur poids sur mes hanches, leur emprise sur mes poignets. Je regarde son cou, le mouvement de sa pomme d’Adam quand il avale. J’imagine y poser mes lèvres, y sentir le pouls fou de son désir. Je regarde sa bouche, la forme de ses lèvres. Je sais leur goût imaginaire. Je le veux réel.
Quand nous nous levons en même temps pour débarrasser, nos mains se frôlent.
C’est une décharge. Pure, électrique, qui fuse de mon poignet à mon coude, inonde mon bras, s’engouffre dans mon ventre. Je retiens un cri. Je retire ma main, mais c’est trop tard. Le courant passe. Il le sent. Je le vois. Il se fige, l’assiette en suspens. Son regard se plante dans le mien. L’air entre nous s’épaissit, devient lourd, chargé d’ozone avant l’orage. Je ne vois plus la pièce. Je vois le mur. Je sens la poussée de ses hanches. J’entends le son étouffé, humide, de nos corps qui se rejoignent.
— Pardon.
Sa voix est plus basse,un peu rauque. C’est presque la voix du rêve.
Plus tard, sur le balcon, je fuis pour respirer. La ville scintille, indifférente. La porte coulisse derrière moi. Je n’ai pas besoin de me retourner. Je le sens. Sa présence est une pression dans l’air, une chaleur qui se déplace. C’est la même que dans le rêve : dense, magnétique, possessive.
Il s’accoude près de moi, pas assez près pour toucher, mais assez pour que je sente la chaleur de son bras à quelques centimètres du mien. Le silence est épais, vibrant. Je respire son odeur. Savon propre, et dessous, l’odeur fondamentale de l’homme, de la sueur, de la peau. L’odeur qui emplissait mes narines dans le rêve quand il s’effondrait sur moi. Mon ventre se contracte violemment.
— Clara est fatiguée. Elle est allée se coucher.
Il ne me regarde pas.Sa voix est calme, mais je perçois la tension sous la surface, comme une corde tendue à craquer.
Je hoche la tête, incapable de parler. Le silence retombe. Je sens son regard sur moi, avant même qu’il ne tourne la tête. C’est un poids, une caresse physique. Quand enfin il se tourne, ses yeux dans la pénombre ne sont plus gris-vert. Ils sont noirs. Profonds. Ils font le tour de mon visage, lentement, avec une intensité qui me déshabille. Ils descendent le long de mon cou, s’attardent sur la courbe de mes seins que le tissu de la robe ne cache pas, remontent vers ma bouche. Son regard est une main. Une bouche. Une possession.
— Élodie.
Mon nom,dans sa bouche, n’est plus un mot. C’est une caresse, une revendication. Un frisson violent me secoue, des pieds à la nuque.
— Oui ?
Ma voix est un souffle,un aveu.
— Il vaut mieux que tu partes maintenant.
Chaque mot est arraché,chargé d’une lutte féroce. Sa voix est rauque, tendue à l’extrême. Elle résonne du même effort que celui qui faisait vibrer son corps quand il se retenait, au bord du plaisir, dans mon rêve. Elle dit le désir, la frustration, l’interdit.
— Louis, je…
Les mots meurent.Que dire ? Je te veux. Je suis mouillée pour toi. Mon corps se souvient de toi alors qu’il ne t’a jamais connu. Ma langue passe sur mes lèvres sèches. Son regard suit le mouvement, s’assombrit encore.
Il lève une main, s’arrête à quelques centimètres de mon bras. Ses doigts tremblent, presque imperceptiblement. Je vois le muscle de sa mâchoire se contracter. Il lutte. Et voir cette lutte, cette tension incroyable dans tout son corps pour ne pas me toucher, c’est plus érotique que n’importe quelle étreinte.
— S’il te plaît. Pars.
C’est un murmure brisé.Une supplique. Une preuve.
Je passe devant lui pour rentrer. Mon bras effleure le sien. Le contact, même à travers le tissu, est une brûlure, une déflagration. C’est comme si tout mon rêve se concentrait dans ce frôlement. Je sens la chaleur de sa peau, la dureté du muscle en dessous. Un gémissement me monte à la gorge. Je l’étouffe.
Dans l’ascenseur qui descend, je m’effondre contre la paroi froide. Mes jambes tremblent. Entre mes cuisses, une pulsation lourde, humide, insistant. Mon cœur bat à tout rompre. Je porte ma main à mon ventre, là où la chaleur est la plus intense, la plus coupable.
Il sait. Il lutte. Mais dans ses yeux, j’ai vu la même tempête. Le même feu. La guerre n’est pas déclarée. Elle est déjà là. Et mon corps, tout entier, n’est plus qu’une seule ardeur, une seule attente. Une offrande prête à être consumée.
ÉlodieLa semaine qui suit le barbecue est une agonie feutrée. Chaque jour est une épreuve de résistance, une lutte contre le souvenir des doigts de Louis dans l’ombre, contre l’odeur de transgression qui semble encore imprégner ma peau. Je vis en automate, répondant aux sourires par des sourires, aux conversations par des banalités. À l’intérieur, une bête tourne en rond, affamée, obsédée.Il m’envoie un message, trois jours après. Un seul mot, tombé sur mon écran comme une pierre dans un puits.—Samedi.Pas de lieu, pas d’heure. Juste une date. Une évidence. Clara doit accompagner sa mère à un salon de déco pour la future chambre. La maison sera vide.J’arrive avant lui. Je n’ai pas les clés, mais je connais le code de l’alarme, un détail offert un jour par Clara, un geste de confiance qui me brûle maintenant les doigts. Je pousse la porte et j’entre dans le silence de leur foyer. L’odeur m’assomme. Ce n’est pas son parfum à lui, ni celui de Clara. C’est leur odeur mélangée : le caf
Élodie — Louis.Il se retourne d’un bloc.Dans la pénombre, ses yeux brillent d’un éclat sauvage.— Qu’est-ce que tu fais ? Tu es folle ? Ils peuvent…—Je ne peux plus, l’interromps-je. Je ne peux plus te regarder la toucher. Te sourire et faire semblant.Je m’avance. Il ne recule pas. L’espace entre nous se réduit, chargé de tout ce qui n’a pas été dit sur la pelouse.— Tu crois que c’est facile pour moi ? Sa voix est un râle. La voir, chaque jour, et penser à toi. À ton goût. Au son que tu faisais.C’est la dernière étincelle. Je ferme la distance, plaque mes mains sur son torse. Le contact est électrique, réveillant chaque cellule endormie. Il grogne, une sorte de plainte animale, et ses mains s’abattent sur mes hanches, me serrant à travers le jean, m’attirant contre lui. Je sens son érection, dure, pressante, contre mon ventre. Ici, dans l’obscurité poussiéreuse, à quelques mètres de notre famille, c’est encore plus défendu, encore plus excitant.— Tu veux me faire du mal ? murmu
Élodie Ma voix est rauque.Il avance, pose une bouteille sur le plan de travail près de moi. Il ne part pas. Il reste là, à moins d’un mètre. Le silence est un étau qui se resserre. Je regarde ses mains, ces mains qui m’ont tenue, ouverte, possédée. Elles sont calmes, mais je vois la tension dans les jointures.— Ça va ? demande-t-il enfin, sans me regarder, fixant sa propre bouteille.—Non.La réponse sort,nue, honnête. Je ne peux plus faire semblant. Pas avec lui. Pas ici.Il lève les yeux. Dans la lumière tamisée de la cuisine, je vois les cernes sous les siens, la même fatigue que la mienne, la même guerre intérieure. Il a l’air plus vieux, plus dur.— Moi non plus, avoue-t-il dans un souffle.Ces deux mots brisent quelque chose en moi.Un début de complicité dans la culpabilité, plus intime encore que l’acte sexuel. Nous sommes deux naufragés sur le même radeau pourri, à regarder le bateau de ceux que nous aimons s’éloigner.— Clara…—Ne parle pas d’elle ici, coupe-t-il, répétant
Élodie Les jours suivants sont une chute lente, un écho assourdi de la violence de l’hôtel. Mon corps est une carte de géographie de notre crime. La marque sur mon cou a viré au bleu violacé, un halo d’orgueil et de honte que je dissimule sous des cols roulés et du fond de teint. Une douleur sourde, persistante, me rappelle à chaque pas l’étirement brutal, la plénitude déchirante. Je la cultive secrètement, passant mes doigts sur ma peau meurtrie, revivant dans la douce brûlure le souvenir de son poids sur moi. Mon propre parfum me semble désormais mêlé au sien, à l’odeur musquée et sucrée du sexe et de la sueur qui imprégnait la chambre.Il n’appelle pas. Il n’écrit pas. Le silence est une torture plus raffinée que toute parole. Je scrute mon téléphone jusqu’à en avoir les yeux qui brûlent, espérant et redoutant à la fois son nom à l’écran. Je revis chaque seconde : ses mains sur mes hanches, la pression de ses doigts dans mes cheveux, le grognement qu’il a poussé quand il a éclaté
Élodie Il me soulève comme si je ne pesais rien et me jette sur le lit. La violence du geste est excitante. Je me redresse sur les coudes, haletante, le regardant se débarrasser de ses vêtements. Son corps se révèle dans la pénombre : large, sculpté, puissant. Des muscles tendus sous la peau, un torse parsemé d’un fin duvet sombre qui descend en une ligne tentante jusqu’à son sexe, dur, dressé, impressionnant. Mon rêve n’avait rien imaginé d’aussi réel, d’aussi magnifique.Il se penche sur moi, m’enveloppe. Sa peau contre la mienne est une révélation. Chaude, lisse, musclée. Je me cambre, offrant mon cou à sa bouche. Il mord, lèche, suce, laissant une marque qui sera un stigmate demain. Ses mains parcourent mes flancs, remontent, s’emparent de mes seins de nouveau, avant de descendre, d’un mouvement impatient, vers mon jean. Il dégrafe, tire, arrache. L’air frais sur mon sexe offert, trempé, me fait frissonner. Il écarte mes cuisses avec ses genoux, sa main vient se poser sur mon ven
Élodie Il lève enfin les yeux. Et là, je le vois. La lutte est terminée. Ou plutôt, elle a changé de nature. La politesse, la retenue du beau-frère ont été balayées. Dans ses yeux gris-vert, il n’y a plus de voile. Il y a une tempête. Un aveu brut, désespéré, furieux.— Ça, dit-il d’une voix sourde, raclée. Ce… truc. Ce truc entre nous. Je le sens depuis des mois. Et depuis l’autre soir sur le balcon… je ne pense plus qu’à ça.Le mot « ça » est plus cru, plus direct que n’importe quelle description. Il désigne l’attraction animale, l’électricité pure, le besoin.— Moi non plus, lâché-je, et c’est un soulagement de le dire, un vertige terrible. Je ne pense qu’à ça. Je rêve de ça.Un muscle tressaute dans sa joue. Ses narines frémissent. Il est comme un animal tenu en laisse, et la laisse est sur le point de céder.— Clara…, commence-t-il.—Ne parle pas d’elle, l’interromps-je, plus sèche que je ne le voudrais. Pas ici. Pas maintenant.Il hoche la tête, un bref mouvement. Le sujet est







