Se connecter— Ne t’inquiète pas, ma fille. Je vais m’occuper de ton petit. Comment s’appelle-t-il ?
— Matthieu, murmura-t-elle, émue, en essuyant une larme rebelle. — Très bien. Tu peux aller travailler l’esprit tranquille. Je te promets de prendre soin de lui comme du mien. — Merci… Merci infiniment madame. Je vous paierai pour ce service, je vous le dois. — Garde ton argent, ma fille. On doit s’aider entre mères. Il y a trente-deux ans, j’étais exactement à ta place. Mais regarde-moi aujourd’hui… Je suis toujours debout. Alors sois forte. Tu m’entends ? Sois forte. Tout finira par aller mieux. Seraleone sentit une boule dans sa gorge. Une chaleur nouvelle. Ce n’était peut-être pas le bout du tunnel… Mais pour la première fois depuis longtemps, elle voyait une lueur. Seraleone hocha simplement la tête, remercia une dernière fois la vieille dame d’un regard reconnaissant et s’éloigna rapidement vers son lieu de travail. Malgré la fatigue, malgré le chaos dans sa tête, elle ne voulait pas risquer de perdre son emploi — c’était tout ce qu’il lui restait de stable. À peine eut-elle mis un pied dans les locaux de l’entreprise que son patron l’attendait de pied ferme devant son bureau, les bras croisés, la mâchoire serrée. — Vous pensez que cette société vous appartient ou quoi, madame Calvados ?! lança-t-il d’un ton glacial. — Non, monsieur... répondit-elle, la tête basse, la voix à peine audible. — J’espère bien. Que ce soit la dernière fois que vous quittez votre poste comme une voleuse, sinon vous aurez affaire à moi ! tonna-t-il en tapant sur le bureau. Elle acquiesça aussitôt, de façon presque mécanique, son cœur battant la chamade. — Reprenez le travail. Et pour votre manque de professionnalisme, vous ferez des heures supplémentaires aujourd’hui. — S’il vous plaît, patron... Je dois m’occuper de mon fils. Il est encore petit et— — Taisez-vous ! la coupa-t-il sèchement. Vous pensez être la seule femme à qui son mari a planté un poignard dans le dos ? C’est monnaie courante ! D’autres encaissent et continuent de bosser sans pleurnicher. Apprenez à encaisser, madame ! Vous n’êtes pas spéciale. Seraleone sentit une rage froide grimper dans sa gorge, mais elle se retint. Elle serra les poings si fort que ses ongles s’enfoncèrent dans sa paume. Elle aurait voulu hurler. Exploser. Lui jeter à la figure toute sa douleur. Mais elle ravala tout. Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, elle devait tenir… pour Matthieu. Pour elle-même. Pour cette vieille dame qui croyait encore en elle. Elle se dit intérieurement, un jour, elle ne serait plus jamais traitée comme une option, une quantité négligeable. Un jour, elle brillerait. Et ce jour viendrait. — Je ne veux plus entendre la moindre justification, madame Calvados. Sinon, croyez-moi, vous aurez sérieusement affaire à moi. Gardez-vous à carreau ! Seraleone hocha la tête, serrant les dents pour ne pas répliquer, puis retourna à son poste sans ajouter un mot. Toute la journée, elle travailla sans relâche, la rage au ventre, le cœur en miettes. Elle ne s’arrêta que vers 20h, une fois tous les employés partis, y compris ce patron sans cœur. Elle verrouillait à présent son comptoir, fatiguée mais soulagée d’avoir tenu jusqu’au bout, quand une silhouette familière surgit dans le hall. Il marchait d’un pas déterminé, les sourcils froncés. — Bonsoir madame. Elle se retourna, surprise. — Vous encore ? siffla-t-elle, visiblement agacée. Allez droit au but, je n’ai pas la tête à papoter. Xavier ne se laissa pas démonter. — Je viens de terminer ma livraison comme convenu. Je suis ici pour récupérer mon paiement. — Désolée pour vous, monsieur… répondit-elle avec un soupir, mais vous arrivez un peu trop tard. Le caissier est déjà rentré chez lui. Il faudra revenir demain. — Bon sang ! grogna Xavier en donnant un violent coup de pied au sol, ses nerfs à vif. Il respira un grand coup, se ressaisit, puis ajouta d’un ton plus contenu : — D’accord. Merci quand même, madame. Bonne soirée. Elle le regarda partir sans un mot, le trouvant à la fois irritant… et étrangement captivant. Quelque chose chez lui dérangeait sa routine, réveillait une sensation enfouie depuis longtemps. Mais elle n’avait pas le temps pour ça. Pas maintenant. Xavier sortit du bâtiment, les mâchoires serrées. Il rejoignit son camion, grimpa derrière le volant et démarra sans un regard en arrière. La nuit tombait lentement, pesante, étouffante… à l’image de ses pensées De son côté, Seraleone termina enfin de tout verrouiller. Elle rassembla ses affaires à la hâte, monta dans sa voiture et prit la route en direction du motel, là où l’attendait son petit Matthieu. Mais à peine avait-elle parcouru quelques kilomètres que le ciel se mit à gronder. Des éclairs fendirent l’horizon, suivis d’un roulement de tonnerre qui secoua les vitres. — Oh non, pas la pluie ! grogna-t-elle entre ses dents. S’il te plaît, madame la pluie… attends juste que j’arrive à destination. Comme pour lui répondre par provocation, une grosse goutte éclata contre le pare-brise… suivie d’une pluie torrentielle. Son téléphone vibra. Elle jeta un rapide coup d'œil et en voyant le nom affiché, ses traits se durcirent. Marc. L’homme qu’elle ne voulait plus jamais entendre. Agacée, elle décrocha l’écran avec brusquerie pour rejeter l’appel, mais ce geste lui fit perdre une fraction de seconde de concentration. C’est à ce moment-là qu’un camion-citerne surgit de nulle part. Elle n’eut même pas le temps de freiner. BOUM ! L’impact fut brutal. Sa voiture fit un demi-tour sur elle-même avant de s’immobiliser sur le bas-côté. L’airbag s’était déployé, son cœur battait à tout rompre… mais elle était entière. Sonnée, mais vivante. Le camion s’arrêta en crissant, et le conducteur en descendit précipitamment. Seraleone fit de même, claqua la portière avec fureur et marcha d’un pas sec en direction du fautif, le regard chargé d’une colère noire. — Vous êtes fou ou quoi ?! Vous auriez pu me tuer, espèce d'assassin ! Le conducteur se figea… surpris. Et elle aussi, l’espace d’une seconde. Car devant elle… se tenait Xavier.Xavier esquissa un sourire amusé, puis coupa le moteur avant de tourner la tête vers elle. Son regard, à la fois calme et troublant, se planta dans le sien.— Regardez bien, je vais vous montrer, dit-il d’un ton posé, presque mystérieux.Il se pencha vers elle, sa main effleurant la sienne, puis attrapa la boucle de la ceinture. Il la fit coulisser lentement, avec une aisance presque exagérée, jusqu’à ce qu’un clic libère Seraleonne du siège.Elle le fixait, intriguée par la précision de son geste… et un peu plus par la proximité soudaine de leurs corps.— Et pourquoi faire un nœud aussi tordu ? demanda-t-elle, faussement agacée.— Je ne sais pas… répondit-il avec un sourire en coin. Peut-être parce que ça me donne une excuse pour me rapprocher de vous.Ses mots tombèrent avec une audace maîtrisée. Pas un mot de trop, pas un regard déplacé. Juste le bon dosage pour faire bondir le cœur de Seraleonne.Troublée, elle détou
Elle s’éveilla en sursaut, le cou raide, les muscles endoloris par la position inconfortable dans laquelle elle avait sombré. Dormir dans un camion-citerne n’était clairement pas une expérience qu’elle souhaitait réitérer. Son corps, déjà épuisé par les émotions, lui faisait payer chaque minute passée à dormir recroquevillée.Ses yeux mirent un moment à s’adapter à la lumière diffuse qui filtrait à travers les vitres. L’espace métallique autour d’elle, l’odeur de gasoil mêlée à celle du cuir, tout lui semblait irréel. Un instant, elle ne savait plus où elle était ni comment elle s’était retrouvée là. Puis, comme des éclats de verre, les souvenirs de cette matinée chaotique revinrent la transpercer : la trahison, l’humiliation, les larmes. Marc. L’entreprise. Le vide.En tournant légèrement la tête, elle le vit. Lui. Xavier. Étendu sur le siège conducteur, la casquette posée négligemment sur son visage, il dormait paisiblement, presque trop. Ce contraste entre son p
— Tenez, dit-elle en lui tendant la carte. Un petit plus. Pour votre transport, bien sûr... et pour vous prouver ma bonne foi. J’aimerais beaucoup échanger avec vous autour d’un café, si vous êtes tenté.Xavier la fixa, interloqué. Un rire bref, sec, lui échappa un mélange d’amusement et de profond agacement.— « Non mais elle est sérieuse ? En plein boulot ? » pensa-t-il.Il se redressa, inspira profondément, et répondit d’un ton froid et ferme :— Je ne suis pas intéressé, madame.Il retira l’excédent d’argent de l’enveloppe, déposa les billets sur le bureau, et ajouta d’un ton tranchant :— Gardez ce supplément. Je suis payé pour mon travail, pas pour autre chose.Il tourna les talons et quitta le bureau, le pas plus lourd, les nerfs tendus.Clotilde, elle, resta figée. Choquée. Frustrée.Son sourire s'effaça lentement, laissant place à un rictus amer.— « Tu veux jouer au héros ? Très bien,
Xavier sentit un pincement glacial lui traverser le cœur. La douleur de Seraleonne lui renvoyait brutalement son propre reflet. Il se revit, quelques années plus tôt, infligeant à Sandra son ex-fiancée les mêmes blessures, les mêmes trahisons. À force de la tromper sans scrupule, il avait brisé une femme qui ne demandait qu’à l’aimer… et ses erreurs l’avaient conduite tout droit vers sa fin tragique.Un frisson lui remonta l’échine. Il n’était pas mieux que ce Marc, cet homme qu’il ne connaissait pas encore, mais qu’il haïssait déjà viscéralement. Peut-être parce qu’en lui, il voyait ce qu’il avait été.Serrant doucement les bras de Seraleonne, il força un sourire :— Allez, Madame Grognon, debout.Sa voix était douce, teintée d’humour, mais aussi d’une compassion sincère. Il l’aida à se relever avec précaution, puis la fixa droit dans les yeux. Un regard profond, chargé de regrets, mais aussi d’une promesse silencieuse de ne jamais lui faire ce qu’un autre lui avait infligé.— Je vai
Elle était à genoux, le regard perdu dans le vide, le cœur en lambeaux, les larmes silencieuses roulant sur ses joues. En une fraction de seconde, elle avait tout perdu. Son emploi. Son mariage. Sa dignité, peut-être. Et même si ce mariage était un champ de ruines depuis longtemps, elle avait gardé, au fond d’elle, l’illusion fragile que Marc finirait par revenir à la raison… Qu’il essaierait, lui aussi, de sauver ce qu’il restait d’eux.Mais elle s’était lourdement trompée.Xavier, témoin impuissant de ce naufrage, resta figé un instant. Lui, qui l’avait toujours connue forte, indomptable, invincible… La voir ainsi, brisée, à terre, le priva lui-même de toute force. Son cœur se serra. Il s’approcha doucement, posa un genou à terre à ses côtés et souffla, avec une tendresse maladroite :— Euh… Miss Indépendante, tu tiens le coup ?Seraleonne leva les yeux vers lui. Elle tenta de ravaler sa peine, de garder la face. Mais sa carapace céda.
Elle accepta, la mâchoire serrée, et il la hissa hors du camion comme une plume… ou presque. Lorsqu’elle fut enfin au sol, elle resta un moment immobile, dos à lui, visiblement en guerre avec elle-même. Puis, dans un effort presque douloureux, elle se retourna, évita son regard, et lâcha, d'une voix sèche mais audible : — Merci. Xavier haussa un sourcil, surpris mais amusé. Il savait que ces deux syllabes lui avaient coûté cher, bien plus qu’elle ne voulait l’admettre. — Wouah… j’aurais dû enregistrer ça, plaisanta-t-il, un large sourire aux lèvres. Elle leva les yeux au ciel, soupira, et tourna les talons. — Ne vous habituez pas trop. Il la regarda s’éloigner, conquise sans vouloir se l’avouer. Et lui ? Il était définitivement piqué. Xavier afficha un large sourire, toutes dents dehors. Pour la première fois, elle venait de le remercier. Un simple mot, mais qui av







