ログイン
Lilith
Le premier son est celui du métal. Froid. Sec. Un claquement qui se répercute dans les os de mon crâne et qui scelle l’univers. L’obscurité qui suit est absolue, plus épaisse que toute nuit que j’aie jamais connue. Elle pèse sur mes paupières, elle emplit ma bouche, elle se love dans le creux de mes poumons, voleuse d’air. Je suis un cœur qui bat trop vite, affolé, prisonnier d’une cage de chair et de terreur.
Je ne sais pas combien de temps dure ce néant. Des heures. Des jours. Peut-être seulement des minutes, déformées par la peur. Mes doigts cherchent, tâtonnent, rencontrent une surface rugueuse et humide. Du bois. L’odeur est fade, mélange de poussière, de sueur et de quelque chose d’autre, de chimique, qui colle à l’arrière-gorge. L’angoisse monte, un acide qui ronge de l’intérieur. Je vais mourir ici. Dans cette boîte. Sans avoir revu le ciel.
Puis, la boîte bouge.
Un soubresaut, puis un balancement régulier, nauséeux. On transporte moi. Je suis un colis. Une chose. Les larmes que je retenais depuis le début se libèrent enfin, silencieuses, brûlantes, traçant des chemins sales sur mes joues. Je me recroqueville, les genoux remontés contre ma poitrine, faisant de moi-même une boule, un fœtus qui aurait peur de naître.
Le mouvement cesse. Un nouveau bruit de métal, mais différent. Un grincement, puis un cliquetis. Une serrure.
La panique m’électrise. Mon corps se tend, prêt à une fuite impossible. La paroi au-dessus de moi cède soudain, s’ouvrant vers le haut avec un craquement sinistre. La lumière me frappe de plein fouet, blanche et cruelle, me transperçant les pupilles comme des lames. Je plisse les yeux, aveuglée, suffoquant, les bras levés pour me protéger d’un assaut qui ne vient pas.
Des silhouettes se découpent dans la clarté aveuglante. Deux hommes.
Le premier s’avance. Il est grand, taillé dans l’ombre et le granit. Un costume sombre, parfaitement coupé, qui épouse une carrure d’athlète. Ses cheveux sont noirs, lisses, ramenés en arrière. Son visage est d’une beauté à vous glacer le sang : des pommettes hautes, une mâchoire anguleuse, des lèvres minces et pâles. Mais ce sont ses yeux qui me clouent sur place. Gris. D’un gris de cendre et d’acier. Ils me parcourent, de la tête aux pieds, avec la froide objectivité d’un expert évaluant du bétail. Il n’y a aucune colère, aucune passion. Rien. Un vide absolu, plus terrifiant que la fureur.
Il ne dit rien. Il me regarde. Et dans ce silence, je comprends que je ne suis plus personne.
Le second homme émerge de derrière lui. Plus large, plus animal. Il ne porte pas de costume, mais un jean et un t-shirt noir qui moulent des muscles saillants. Des tatouages sombres serpentent sur ses avant-bras. Ses cheveux sont châtains, ébouriffés, et son regard… son regard est un brasier. Vert et doré, il brûle. Il me dévore des yeux avec une intensité qui me fait reculer d’un pas chancelant dans le fond du cercueil de bois. Il sourit. Une expression faussement détendue qui ne parvient pas à masquer la sauvagerie qui émane de lui.
C’est le premier, l’homme en costume, qui brise le silence. Sa voix est calme, posée, et pourtant elle porte une autorité qui résonne dans mes os.
— Sortez.
Le mot est un ordre, sans inflexion. Ma gorge est trop serrée pour obéir. Mes jambes sont de la gelée. Je tremble de tout mon être, claquant des dents.
Le second homme ricane.
— Elle a l’air frigorifiée, Damian. Tu aurais pu mettre un chauffage dans le coffre.
Damian. Son nom est Damian. Il glisse une main dans la poche de son pantalon, imperturbable.
— Elle s’habituera. Sortez, Lilith.
Il connaît mon nom. La terreur atteint un nouveau pic. Comment connaît-il mon nom ? Qui sont-ils ? Que veulent-ils ?
— Je… je ne peux pas, je parviens à chuchoter, ma voix n’est qu’un souffle rauque.
Le second homme, Cain, se penche alors sur la caisse, ses bras musclés de chaque côté de l’ouverture, m’emprisonnant dans son ombre. Son odeur m’envahit : le cuir, la sueur et quelque chose de sauvage, de primitif.
— Laisse-moi faire.
Avant que je puisse protester, ses mains se referment sur mes bras. Son contact est une brûlure, une violation. Il me soulève comme je ne pèse rien, m’extirpant du coffre avec une force brutale. Mes jambes flageolent et cèdent lorsqu’il me pose debout sur le sol de béton froid. Je m’effondre dans une mare de ma propre robe, une loque tremblante.
Je lève les yeux, et le monde bascule.
Nous sommes dans un garage souterrain, immense, voûté, éclairé par des néons qui crépitent. Et devant moi se dresse une maison. Non, pas une maison. Un manoir. De pierres sombres, avec des fenêtres étroites et barreaudées comme celles d’une forteresse. Une demeure qui n’ouvre pas ses bras, mais qui dresse ses remparts.
Damian s’approche, ses chaussures fines claquant sur le béton. Il s’arrête à quelques centimètres de moi. Je peux sentir le parfum froid de son après-rasage, un mélange de menthe et de métal.
— Vous êtes chez moi maintenant, Lilith. Ceci est votre nouvelle maison.
Sa main se lève, lentement, et il effleure une mèche de mes cheveux emmêlés entre ses doigts. Le geste est presque tendre, mais ses yeux sont d’un glacial absolu.
— Les règles sont simples. Vous faites ce que je dis. Quand je le dis. Votre corps, votre temps, votre volonté m’appartiennent.
Cain se tient juste derrière lui, les bras croisés, un sourire torve aux lèvres.
— Et à moi aussi, parfois, j’imagine ? lance-t-il, provocateur.
Le regard de Damian se tourne vers lui, aussi tranchant qu’une lame de rasoir.
— Quand je le déciderai, Cain. Pas avant.
Leurs regards se croisent, et je sens l’étincelle jaillir entre eux. Une tension électrique, chargée de rivalité et de quelque chose de plus sombre, de plus primitif. Une jalousie qui précède même la possession. Et je suis l’objet de ce désir malsain.
Damian reporte son attention sur moi.
— Vous apprendrez. Par la volonté, ou par la douleur. Le choix vous appartient.
Il se penche alors, si près que son souffle effleure mon oreille. Un frisson glacial me parcourt l’échine.
— Bienvenue dans votre nouvelle vie. Il n’y a pas de porte de sortie.
Cain éclate d’un rire bref, rauque, qui résonne comme un glas sous les voûtes de pierre.
Le premier chapitre de mon enfer est écrit. Non pas avec du feu, mais avec de la glace et des regards qui déchirent l’âme. Je suis Lilith. Et je suis perdue.
LilithLe jour se lève, gris et indifférent. Je me lève, le corps lourd, l'esprit engourdi. La nuit avec Cain m'a laissée changée. Quelque chose s'est brisé à l'intérieur, et à la place, il ne reste qu'une froide acceptation. Je suis sa propriété. La chose de Cain. L'idée, autrefois insupportable, est devenue un fait, une vérité biologique aussi réelle que la cicatrice sur mon bras.Mme Arlette entre avec le petit-déjeuner. Son regard, habituellement vide, s'attarde une fraction de seconde sur moi. Y voit-elle la différence ? La marque invisible que Cain a laissée ? Je baisse les yeux, incapable de soutenir son regard, même le sien.Damian me convoque dans son bureau plus tôt que d'habitude. Il est debout devant la grande fenêtre, contemplant les jardins. Il se retourne à mon entrée. Ses yeux gris me scrutent, analysant, évaluant. Il voit tout. Il doit voir l'empreinte de Cain sur moi, l'ombre qui s'est étendue dans mon âme.— Vous avez l'air fatiguée, Lilith, observe-t-il, sa voix ne
LilithLa nuit est épaisse, sans lune. Le manoir semble retenir son souffle, chaque craquement amplifié par le silence oppressant. Je suis allongée dans l'obscurité, les yeux grands ouverts, sachant que ma déclaration à Damian lui a donné une permission tacite. Une invitation. L'attente est devenue une torture en soi, un compte à rebours vers une violation inévitable.La clé tourne dans la serrure. Le son est terriblement familier maintenant. Mon corps se tend, chaque muscle se préparant à l'assaut. La porte s'ouvre, et sa silhouette massive obstrue la lumière du couloir avant de refermer le monde derrière lui.Cain. Il ne sent pas le whisky ce soir. Il sent le propre, le savon, et une détermination froide qui est bien plus effrayante que sa fureur habituelle. Il se tient là un moment, laissant mes yeux s'habituer à sa présence dans la pénombre.— Tu m'attendais, hein ? sa voix est basse, un murmure rauque qui caresse l'air.Je ne réponds pas. Je ne peux pas. Ma gorge est nouée.Il s'
LilithLes jours qui suivent se fondent en une succession de moments étouffants, chacun pesant un peu plus lourd sur mes épaules. Je vis dans un état d'hypervigilance constant, chaque nerf à vif. La gouvernante, dont j'ai appris qu'elle se nomme Mme Arlette, est un spectre silencieux qui apporte mes repas, nettoie ma chambre et m'accompagne lorsque Damian l'exige. Elle est un prolongement du manoir, aussi froid et impersonnel que les murs de pierre.Damian me convoque dans son bureau, une pièce sombre tapissée de livres de droit et de comptabilité. Il m'observe travailler sur des dossiers, corriger des lettres, apprendre les rouages de son empire. C'est une torture raffinée. Utiliser mon esprit, ce qui me reste de plus personnel, pour servir celui qui me détruit. Il me parle peu, se contentant de donner des ordres brefs. Son regard, cependant, ne me quitte jamais. Il étudie mes réactions, mes silences, la façon dont mes doigts tremblent parfois sur le clavier. Il cartographie mon âme,
LilithLe contrat. Ses mots dansent devant mes yeux, gravés au fer rouge dans ma mémoire bien après que la gouvernante l'ait ramassé et soit sortie, me laissant seule avec Cain. Garantie. Intérêts. Douloureux. Chaque terme est un crochet enfoncé dans ma chair, me reliant à Leo, où qu'il soit. Une laisse invisible, mais dont la traction pourrait lui briser la nuque.Cain n'a pas bougé. Il est adossé au chambranle de la porte, les bras croisés, me dévisageant avec une intensité nouvelle. Ce n'est plus la colère brute de tout à l'heure. C'est quelque chose de plus calculé, de plus pervers. La révélation du contrat a changé la donne. Pour lui, pour moi. Pour tout.— Alors comme ça, petite oiseau, commence-t-il, sa voix un ronronnement rauque, ton frère est la clé de ta cage. Intéressant.Je ne réponds pas. Je reste à genoux, le regard fixé sur la place où le document était posé. Si je ne bouge pas, si je ne respire pas, peut-être que le sol va m'engloutir.— Tu sais, poursuit-il en se pou
LilithLa lumière de l'aube filtre à travers les barreaux de la fenêtre, dessinant des lignes pâles et tristes sur le sol. Je n'ai pas dormi. Mes yeux sont secs et brûlants, mes membres lourds comme du plomb. L'angoisse de la nuit, le souvenir des grattements et de cette respiration de l'autre côté de la porte, sont encore ancrés dans ma chair, plus tenaces que la douleur de ma blessure.Comme un automate, je me lève lorsque la gouvernante entre avec le plateau du petit-déjeuner. Son regard glisse vers mon bras, où la coupure de Cain a séché en une traînée rouge et noire, mais son expression ne change pas. Elle dépose le plateau.—Monsieur Damian vous attend dans la salle à manger dans trente minutes, annonce-t-elle de sa voix monocorde. Il exige que vous soyez présentable.Présentable. Le mot résonne amèrement dans mon esprit vide. Comment être présentable quand on vous a volé votre âme ?Je me lave rapidement, l'eau froide ravivant la douleur de ma blessure. Je n'ai rien d'autre à m
LilithLe sang a fini par coaguler, formant un lacis noirâtre et douloureux sur ma peau. Personne n'est venu panser la blessure. Personne n'a prononcé un mot de réconfort. La gouvernante m'a jeté un regard vide en apportant le dîner , une assiette de soupe froide et un morceau de pain , puis est repartie sans un bruit. La solitude dans cette chambre est pire que tout. C'est un silence qui pèse, qui étouffe, peuplé des échos de leurs voix et du souvenir de la lame sur ma chair.La nuit est tombée, drapant le manoir dans une obscurité épaisse. Les murs semblent se resserrer, les ombres s'animer. Je reste assise sur le lit, le dos contre la tête de lit en bois sculpté, les genoux remontés contre ma poitrine. Je serre mon bras blessé contre moi. Chaque pulsation douloureuse est un rappel : je ne suis plus humaine. Je suis une chose. Une propriété endommagée.Un bruit.Subtil. Presque imperceptible. Ce n'est pas le pas lourd de Cain, ni la démarche assurée de Damian. C'est un frottement. C







